Impôts : une nouvelle donne ?

Voilà que débute chez nous une curieuse période budgétaire. Après le revirement « libéral-social » qui a donné naissance au coûteux et décrié Pacte de solidarité au profit des entreprises, les ménages les moins favorisés sont promis à des faveurs fiscales significatives. On connaît le prix (probable) des largesses. Mais pas leur rendement...

On ne connaît pas vraiment l’influence des caprices climatiques, en cette fin de période estivale, sur le moral des populations.
Mais ils ont apparemment contribué à maintenir une ambiance de rentrée prématurée dans toutes les catégories de notre société. Confinées à quelques encablures de leur ministère, et pour une période de repos inférieure à la norme syndicale, nos éminences ont été placées en alerte orange et rares sont celles qui se sont écartées du périmètre de sécurité délimité par l’Elysée. D’évidence, un dossier brûlant supposait que l’on dût à n’importe quel moment mobiliser l’équipe gouvernementale : on sait désormais que la préoccupation obsessionnelle de Matignon, c’est l’impôt. Un peu en avance sur le calendrier ordinaire des débats budgétaires, mais quand la solution de l’équation se complique, il est prudent d’entamer plus tôt la phase de réflexions et d’âpres négociations.

D’autant plus qu’au cas présent, les intentions gouvernementales s’écartent largement des prescriptions bruxelloises, puisqu’il s’agit de « poursuivre » l’allègement de la fiscalité supportée par les contribuables les plus modestes, c’est-à-dire potentiellement aggraver la dérive budgétaire. Mais cette thématique affecte profondément les relations internes de la majorité parlementaire, au sein de laquelle nombre de représentants ne reconnaissent plus les « valeurs de gauche » dans la politique suivie, qui serait une collaboration éhontée avec le néolibéralisme bruxellois et une complaisance injustifiable à l’égard des syndicats patronaux français. Même si leur formulation est un tantinet outrancière, ces reproches témoignent toutefois de la sujétion bien réelle de tout gouvernement à son environnement - et ce n’est pas vraiment la sphère politique qui mène la danse en ce moment. Mais en s’obstinant à défendre des prévisions indéfendables, qu’il a bien fallu apostasier piteusement pour reconnaître, une fois de plus, que les objectifs sur les déficits et la dette ne seraient pas tenus, le discours public perd à nouveau de sa crédibilité. Et affaiblit considérablement les attentes enthousiastes du Gouvernement à l’égard du Pacte de solidarité, dont on sait à peu près ce qu’il va coûter aux finances publiques (cher, et sans doute davantage) ; mais le doute s’est largement installé quant au retour sur investissement à espérer de mesures présentées comme des « cadeaux aux entreprises » par leurs détracteurs - sur le dos du pékin, cela va de soi. La question urgente est donc devenue : comment gommer l’impression désastreuse, pour un gouvernement déclaré social-démocrate, de sacrifier la classe laborieuse sur l’autel du capital ?

Stimuler l’offre et la demande

Voilà donc que l’Exécutif tout entier monte au créneau pour démontrer la bienveillance officielle à l’égard des ménages les moins favorisés, de façon à rééquilibrer les faveurs publiques consenties au monde de l’entreprise par les effets du Pacte. Déjà, les petits contribuables (revenu inférieur à 1,1 Smic) bénéficient, dès cette année, d’une réduction d’impôt forfaitaire (350 euros), venant partiellement corriger les effets de seuil résultant des précédentes... majorations. Mais notre système est devenu une telle usine à gaz que le moindre bricolage peut produire des effets strictement contraires à l’effet recherché.
Au cas présent, annonce est faite que le PLF 2015 doit intégrer une réforme significative du bas du barème de l’impôt sur le revenu (IR), visant à pérenniser et amplifier l’impact de la réduction forfaitaire évoquée plus haut. Les modalités pratiques ne sont apparemment pas encore arrêtées : le souhait du Gouvernement est de défendre le dispositif opérationnel le plus vite possible, afin de mettre ce pouvoir d’achat supplémentaire dans les mains des intéressés au début et non à la fin de l’année fiscale (comme la Prime pour l’emploi, qui devrait être supprimée sur la base de reproches justifiés, et refondue avec le « RSA activité », Revenu de solidarité active, dans une approche plus dynamique de la gestion de l’emploi).

Ainsi donc, sans entrer dans la polémique ordinaire du bien-fondé d’un soutien à la demande domestique dans un contexte de déprime budgétaire, on doit s’interroger sur l’impact, en termes de croissance, de ce supplément de pouvoir d’achat.
Car la dépense rapide de ces sommes justifierait l’empressement à les allouer, afin de stimuler la consommation des ménages qui contribue largement au PIB. Hélas, les statistiques récentes démontrent un comportement contraire : sur le premier semestre de l’exercice, alors que le nombre de contributeurs à l’IR est devenu nettement inférieur à la moitié des ménages, le taux d’épargne des Français a atteint un sommet historique (près de 16% du revenu disponible). Autant dire que le pessimisme à l’égard du présent et du futur proche l’emporte sur les (trop ?) modestes gâteries fiscales votées ou promises. Monétaristes et Keynésiens n’auront même pas matière à s’écharper : les faits ne collent avec aucune de leurs théories. On attend de nouvelles thèses de pied ferme, avant les débats budgétaires d’automne. Car le financement du Pacte et celui des allègements fiscaux des ménages va coûter une grosse pelote au Trésor, susciter maintes négociations à Bruxelles et donc entraîner un certain nombre d’accords qui ne seront pas nécessairement à l’avantage du pays. Eu égard à l’enjeu, il vaudrait mieux que le Pacte génère des emplois et que les allègements d’impôt stimulent le PIB - qu’elle que soit la façon dont la théorie expliquera le phénomène...

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