L'ANI : sincère ?

L’ANI : sincère ?

Après que le rapport Gallois a sonné le tocsin, les partenaires sociaux se sont concertés. Et ils ont rapidement abouti à un accord national que le gouvernement vient de transcrire en projet de loi. Compétitivité des entreprises et sécurisation de l’emploi sont les deux mamelles du texte. Dont le vote ne sera pas aisé…

Voilà donc mis en musique le fameux « Accord national interprofessionnel » (ANI) du 11 janvier dernier, maintenant prêt à affronter les joutes parlementaires. La promptitude avec laquelle l’accord avait été scellé constituait à elle seule une divine surprise : la nouvelle législature démontrait ainsi qu’une large concertation ouvrait la voie aux accordailles, sur des thèmes pourtant peu consensuels. Destiné en même temps à favoriser la compétitivité des entreprises et la sécurisation de l’emploi, le « nouveau modèle économique et social » revendiqué affichait des ambitions contradictoires : le Medef n’a jamais fait mystère de la nécessité de flexibiliser le contrat de travail. Et jusqu’à une date récente, les syndicats de travailleurs ne faisaient pas mystère de leur attachement viscéral au CDI (contrat à durée indéterminée) « à la française », que le monde du business anglo-saxon dénonce comme un vestige antédiluvien du soviétisme défunt. Bref, réconcilier dans un même texte les facteurs de compétitivité qu’exige la concurrence des temps présents, et la sécurité de l’emploi qu’ambitionne tout travailleur, c’était quasiment résoudre la quadrature du cercle. Réussir le mariage de la carpe et du lapin.

Reconnaissons-le : le consensus n’a pas été général, puisque tous les syndicats de salariés n’ont pas applaudi des deux mains à l’accord. Et les réfractaires poursuivent leur action contestataire dans la rue, dans l’espoir de maintenir l’effervescence parlementaire pendant l’examen du texte. Mais il semble que les revendications manquent de conviction. Comme si les plus rudes des syndicalistes ne croyaient plus possible d’éviter la mise à mort de ce psychodrame âpre, folklorique et coûteux pour les entreprises qu’est la procédure de licenciement. Car c’est bien sur ce terrain que se situe l’enjeu du texte : simplifier et faciliter le licenciement, contractualiser son indemnisation, limiter le contentieux judiciaire. Tel est le sens de la flexibilité recherchée et l’on comprend que le Medef se soit déclaré très satisfait des principes posés par l’accord. Reste maintenant au Parlement à en affiner les modalités : s’agissant d’appeler un chat un chat et de préciser des procédures qui ont été prudemment laissées à l’état d’épure, il n’est pas impossible que le législateur soit tenté d’édifier quelques barbelés dans l’espace des libertés nouvelles que l’ANI a ouvert aux employeurs…

Empoignades en perspective

Parmi les contreparties accordées aux salariés, destinées à sécuriser l’emploi et les parcours professionnels, figurent un certain nombre de mesures qui, sans être anecdotiques, ne constituent pas à proprement parler de « nouveaux droits », mais plutôt le prolongement de dispositifs existants (en matière de formation et de réorientation professionnelle, notamment). Plus importante est sans doute la généralisation de l’ouverture du droit à une assurance complémentaire-santé d’entreprise. Toutes les grandes firmes et la plupart des PME sont déjà équipées, mais bon nombre des salariés de petites entreprises en sont encore exclus. Ce sera pour eux l’opportunité d’obtenir des garanties à de meilleures conditions : les contrats collectifs sont moins coûteux et, au cas d’espèce, leur entreprise prendra en charge une partie de la cotisation (au moins la moitié dans l’accord originel, mais le projet de loi renvoie à un décret le détail des modalités d’application, ce qui est une façon de couper l’herbe sous le pied aux pinaillages parlementaires…). Par ailleurs, ces garanties seront maintenues en cas d’interruption du contrat de travail et pendant la durée du chômage (avec un maximum de douze mois). Faute de contribuer à la sécurité de l’emploi, ces mesures confèrent à tout salarié un environnement optimal pour l’assurance-maladie.

S’agissant du volet « flexibilité », l’exercice est un peu plus délicat. L’exposé des motifs y fait expressément référence : « Le projet de loi, sur les points où l’accord du 11 janvier était ambigu, imprécis ou incomplet, voire comportait des contradictions, a retenu des options claires. Le gouvernement a opéré des choix, en écoutant les partenaires sociaux bien sûr mais aussi, en l’absence de convergence, en retenant l’option qui lui a paru la plus juste, la plus efficace (…) ». En d’autres termes, la rédaction du projet pourrait bien s’écarter de l’interprétation que l’une ou l’autre des parties se faisait de l’accord. En tout cas, le texte renvoie à la négociation tout ce qui est relatif au temps partiel (ne pouvant être inférieur à 24 heures par semaine), aux prévisions d’emploi et aux mesures dictées par les « difficultés conjoncturelles ». C’est donc par un accord que l’entreprise peut, si la situation est grave, modifier le temps de travail, son organisation et… les rémunérations (sauf celles inférieures à 1,2 Smic). Le même accord doit prévoir la part du fardeau dévolue aux salariés dirigeants, aux mandataires sociaux et aux actionnaires (impact sur les dividendes éventuels). Refuser le contenu de l’accord (ou la proposition de mobilité) justifiera le licenciement individuel pour motif économique (ou cause réelle et sérieuse). Il est en outre prévu de mettre un terme à tout contentieux judiciaire sur la contestation du licenciement, par l’application d’une indemnité forfaitaire lors de l’audience devant le Bureau de conciliation. Le projet renvoie à un décret l’établissement du barème applicable, dont l’ANI avait posé le principe : de 2 mois de salaire pour une ancienneté inférieure à 2 ans, jusqu’à 14 mois pour une ancienneté supérieure à 25 ans. Et on n’en parle plus. Pas sûr que de telles mesures réduiront le nombre de licenciements, au contraire ; mais au moins permettront-elles de purger l’abcès au plus vite. Sous réserve que le Parlement les avalise, bien entendu.

deconnecte