L'entreprise courtisée

L’entreprise courtisée

Confronté à l’impératif de stimuler la production nationale, le gouvernement est contraint de courtiser l’entreprise et ses investisseurs. Quitte à mettre un mouchoir sur ses velléités antérieures. Il en résulte des projets de financement extérieurs au circuit bancaire, par captation directe de l’épargne privée.

Entreprises, on vous aime. Tel est en substance le nouveau message que véhicule le gouvernement, tant au travers des déclarations présidentielles que de celles des ministres concernés. Cette bouffée d’affection, après une période de fâcheries larvées et d’escarmouches vénéneuses, témoigne du retour au pragmatisme en ce début de l’an II du quinquennat : dès lors que l’on ne peut s’opposer au système dominant, il n’est d’autre solution que d’en accepter les règles universelles, quoi que l’on pense de leur bien fondé. Les richesses naissent essentiellement des entreprises, quelle que soit leur taille, et le pays a cruellement besoin du dynamisme de l’activité pour doper le PIB, conforter l’emploi et assurer le flux des ressources fiscales. Il ne saurait donc être question d’entraver la bonne marche des firmes, ni de décourager l’enthousiasme des entrepreneurs, ni d’écœurer les investisseurs au point de soumettre les uns et les autres à la tentation de l’exil. Il convient au contraire d’adopter le bon sens populaire, selon lequel on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Voilà sans doute pourquoi, dans une récente interview au quotidien Les Echos, le ministre de l’Economie et des Finances a ouvert un pot de miel à l’attention du monde des entreprises.

Investissement forcé

Le premier sujet de fâcherie concerne les rémunérations du staff des grandes entreprises, souvent jugées pharaoniques -non sans motifs défendables. L’idée de légiférer sur la question, juridiquement épineuse en régime de libre marché et furieusement attentatoire au dogme sacro-saint de la concurrence, est définitivement abandonnée. Priorité est donnée à « l’autorégulation », une méthode qui a produit les résultats que l’on connaît avec les institutions financières… Seule demeure l’intention d’intégrer, dans la prochaine loi de Finances, la fameuse taxe à 75% sur les salaires dépassant le million d’euros. Mais ladite taxe sera temporaire, directement acquittée par l’entreprise, et probablement assortie d’un dispositif en forme d’usine à gaz, qui devrait permettre de ne pas désespérer Billancourt sans trop écorner les comptes de résultat. Une tentative de remettre la pâte dentifrice dans le tube. Il y a ainsi fort à parier que l’impact de la mesure ne sera que symbolique, alors que son annonce a déjà entraîné des migrations fiscales très médiatisées - et d’autres qui sans être notoires n’en sont pas moins effectives. Certes, il est avéré que la charge fiscale est aujourd’hui inéquitable, et pas seulement dans notre pays. Mais toute correction requiert un doigté qui a jusqu’à maintenant fait défaut au gouvernement. Ainsi, même sans impact vraiment significatif sur la « justice fiscale », la mesure promet d’exaspérer ceux qui la subiront et de mécontenter également le grand public, qui la jugera cosmétique.

Sur le plan du financement de l’entreprise, un sujet d’angoisse en cette période de radinerie des banques, les pistes déjà ébauchées se trouvent confirmées. D’abord, la bronca des « pigeons » a produit ses effets : il est admis que le régime de taxation des plus-values concernées sera largement amendé, avec effet rétroactif au 1er janvier de cette année. L’investissement dans la création d’entreprises ou dans leur développement ne sera donc plus entravé par une taxation confiscatoire. Par ailleurs, les banques commerciales se seraient engagées sur le préfinancement du crédit d’impôt compétitivité, aujourd’hui assumé par la seule BPI (Banque publique d’investissement), et ce à des conditions « suffisamment attractives ». L’enveloppe prévisionnelle s’élève à 2 milliards d’euros pour l’exercice en cours, ce qui n’est pas négligeable. Mais la prochaine loi de Finances devrait porter des réformes importantes, en phase avec les « réflexions » actuelles sur la fiscalité de l’épargne financière, dont nous avons déjà fait état dans ces colonnes.

En premier lieu devrait naître le « PEA/PME », une extension de l’actuel Plan d’épargne en actions qui pourra recevoir jusqu’à 225 000 euros de versements (132 000 à ce jour), dont 75 000 spécifiquement affectés aux PME ou ETI (entreprises de taille intermédiaire). Il est vraisemblable que seront admis à la fois les actions et les instruments de dettes, alors que les obligations sont actuellement exclues des titres éligibles au PEA. Par ailleurs, en phase avec les préconisations du rapport Berger-Lefebvre, récemment évoqué ici, les « gros » contrats d’assurance seraient mis à contribution. A savoir que pour préserver les avantages fiscaux substantiels dont ils bénéficient, les souscripteurs devront affecter une partie de leurs actifs, pour l’essentiel obligataires et monétaires, à des titres ou créances de PME et ETI. Une façon de contraindre les « riches » au financement risqué des entreprises de petite ou moyenne taille – ce qu’ils font déjà, la plupart du temps, mais sur d’autres supports. Le dispositif en gestation doit déjà interpeler les professionnels du financement et de la collecte d’épargne, car il ouvrira probablement des pistes prometteuses à l’ingénierie spécialisée. En attendant, il suppose un aménagement du Code des assurances, afin de « permettre aux assureurs de financer massivement les entreprises » (le ministre attend 90 milliards d’euros de concours). Il s’agit là sans doute de prêts plus que de participations au capital, domaine sur lequel les expériences précédentes ont toutes échoué (l’essaimage et le capital-développement sont des métiers à part entière, pour lesquels il n’est pas aisé de constituer une équipe performante). L’esprit général de la stratégie poursuivie, c’est que faute de pouvoir contraindre les banques à financer le secteur productif (elles ont une autre priorité : leur propre bilan), les pouvoirs publics vont forcer la main aux assureurs et aux épargnants privés. Le plus inquiétant de l’affaire, c’est que le financement de l’entreprise soit considéré comme une punition…

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