L’impact du Pacte

Après deux mois de consultations, le Pacte de solidarité arrive devant l’Assemblée. Et sort des griffes des prévisionnistes de l’Ifrap, qui réduisent le dossier à de la roupie de sansonnet. Excessif ? Peut-être. Mais une évidence s’impose : la puissance de feu des politiques publiques s’est considérablement émoussée.

Qu’y a-t-il de commun entre la poésie classique et l’économie contemporaine ? Pas grand chose, penserez-vous, en parcourant la prose convenue et plutôt assommante des économistes officiels, qu’ils soient commis par le pouvoir ou par ses opposants. Pourtant, on observera dans la forme une grande familiarité entre les travaux de prospective et « La Laitière et le Pot au lait » de Jean de la Fontaine. D’hypothèse en hypothèse, d’approximation en approximation, de spéculation en spéculation, le fabuliste et l’économiste dessinent un futur statistiquement crédible mais raisonnablement improbable, quand bien même notre Laitière éviterait-elle de trébucher. Plus on avance dans la modélisation économétrique, avec des instruments d’analyse de plus en plus sophistiqués, plus la réalité observée s’écarte des prévisions initiales. Ce constat désobligeant devrait inciter les prévisionnistes à renoncer à leurs travaux. Ou à tester une méthodologie plus prometteuse (les tarots, les entrailles de poulet, le vol des corbeaux...) ; mais tel n’est pas le cas. En foi de quoi le malheureux chroniqueur économique est-il condamné à pérorer deux fois (au moins) sur toute nouvelle mesure gouvernementale supposée doper l’activité, l’emploi, le moral des ménages ou celui des ratons laveurs. Une première fois pour relever que l’intention est sans doute louable, pour peu qu’elle soit sincère ; mais désormais, la portée d’une intervention publique est nécessairement anecdotique : l’Europe veille sur le respect des règles de concurrence et, de toute façon, les États ne disposent plus de marges de manœuvre budgétaire, sauf à déshabiller Jacques pour habiller Paul - et au final exposer tout le monde à la nudité.

Des performances limitées

Ainsi, avant même que le dispositif ait été présenté au vote, le Pacte de responsabilité revient sur le tapis. Deux mois après le premier jet, la Fondation Ifrap (un think tank libéral) a eu le temps d’ajuster ses règles à calcul, et de proposer une analyse du mécanisme assez différente de la version officielle - on s’en serait douté. Rappelons ici que ledit Pacte consiste à alléger la charge des entreprises afin de favoriser l’embauche. L’enveloppe à transférer représentait à l’origine 50 milliards d’euros (gagés sur des économies budgétaires à réaliser), auxquels se seraient ajoutés depuis 29 milliards, après ajustement des coûts réels à supporter. Selon le Gouvernement, le Pacte est susceptible de générer 190 000 emplois à l’horizon 2017, avec un surcroît de croissance de 0,6%. Pour l’Ifrap, on n’obtiendrait que 60 à 80 000 emplois à la même échéance, avec un bonus pour l’activité compris entre 0,06 et 0,3 point de PIB - on appréciera à sa juste valeur la précision centimétrique de la prévision...
Eu égard à l’énergie mobilisée autour de ce dossier, aux polémiques et aux espoirs qu’il suscite, l’enjeu se retrouve ramené à des performances anecdotiques. En réalité, le caractère récessif des économies budgétaires à réaliser est beaucoup plus puissant que la dynamique de la réduction des charges : les économies en cause, selon l’analyse de l’Ifrap, seraient directement responsables de la destruction de 240 à 260 000 emplois ! Si bien que le Pacte ne produirait ses pleins effets qu’à l’horizon... 2020, c’est-à-dire dans le (très) long terme du calendrier politique. Et encore : à cette échéance, seuls 130 à 150 000 emplois nouveaux auraient été créés. Autant dire rien de plus que le marché n’aurait accompli tout seul, sans aide ni entrave supplémentaire.

Qu’est-ce qui justifie alors l’action publique, si cette dernière génère plus de dommages que d’avantages, à l’aune de l’objectif poursuivi (la création d’emplois) ? Selon le consensus dominant, les emplois nés des « réformes structurelles » sont de vrais emplois, productifs et donc pérennes, acquis alors même que l’Etat serre les cordons de sa bourse, dégageant ainsi l’horizon de la dette pour les générations futures. Une telle approche ne manque pas de bon sens, convenons-en, si on la met en parallèle avec la gestion d’entreprises. En effet, maximiser la productivité est bel et bien la première préoccupation de n’importe quelle entreprise - ce que le fameux rapport Gallois, parmi d’autres, a martelé sur tous les tons. Seulement voilà : les gains de productivité s’obtiennent aujourd’hui, pour l’essentiel, grâce à l’automation - logiciels et robots progressent chaque jour dans des tâches de plus en plus sophistiquées. Si bien que la performance d’une économie serait plutôt inversement proportionnelle à son niveau d’emploi. Quoi qu’en disent les créanciers du monde, la gestion d’une firme n’est pas transposable à celle d’un État. Les objectifs ne sont pas identiques, même s’il est préférable, pour une Nation, de respecter les grandes règles de l’orthodoxie financière, faute de quoi, quand les désordres s’accumulent, une « saine gestion » n’est plus compatible avec les principes élémentaires de la démocratie. « C’est par les déficits que les hommes perdent leur liberté », rappelait inlassablement Jacques Rueff dans son habit de conseiller économique de De Gaulle. La sentence n’a pas pris une ride mais les politiques publiques ont depuis méchamment faibli, notamment sur le terrain de l’emploi : qu’il intervienne ou pas, l’Etat est désormais assuré de commettre de gros dégâts. Moralité : le Pacte promettant des clopinettes à la Saint Gliglin, nos éminences ont le temps de réfléchir à un système où le train de vie du pékin ne sera pas exclusivement constitué des revenus du travail. Ça urge car bientôt, l’emploi deviendra aussi rare qu’un sourire du percepteur.

Visuel : Photos Libres

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