L'Insee entre réel et (...)

L’Insee entre réel et fictif

L’insee semble déplorer, comme nous tous, la médiocrité des résultats du pays. En foi de quoi a-t-il peaufiné des indices de qualité, qui n’enrichissent guère mais dopent le moral. Et l’Institut met l’accent sur le « fait maison », considérable, que ne comptabilise pas le PIB. Doit-on y voir des intentions subliminales ?

On doit rendre grâce à l’Insee pour ses efforts d’imagination afin de redorer le moral des Français. Il est certes impossible à l’Institut de travestir la réalité passée ; ainsi, dans sa dernière édition de « L’économie française – Comptes et dossiers », un constat s’impose : en 2012, l’économie française « est à l’arrêt ». Et en 2013, elle « enregistre une croissance nulle », autre façon de dire qu’elle est toujours à l’arrêt, mais avec une nuance de dynamisme suggérant qu’elle a peut-être redémarré, sans être toutefois parvenue encore à avancer. Une rhétorique voisine de celle du langage hospitalier, lorsque les médecins annoncent que le patient est toujours dans le coma, mais que son état est stable. La situation actuelle n’étant pas pire que la précédente, elle est donc meilleure, en vertu du théorème du verre à moitié plein. Soit.

Quant aux motifs de l’atonie, ils sont répertoriés par l’Insee et confirment ce que l’on savait déjà : l’investissement des entreprises a rechuté l’année dernière (avec une nette baisse du taux de marge des entreprises non financières), contrastant avec le relatif dynamisme de l’exercice précédent ; la consommation des ménages a chuté, malgré la ponction que ces derniers ont opérée sur leur épargne, afin de compenser la détérioration de leur pouvoir d’achat. Si bien que la contraction du PIB 2012 (-0,1%) eût été plus forte encore si la dépense des administrations publiques n’avait été soutenue (+1,4%) et si le commerce extérieur (+1%) n’avait apporté sa contribution. Un résultat qui est partiellement imputable aux exportations (+2,4%), progression modeste mais honorable dans un contexte plutôt tendu, et pour le solde attribuable à une baisse des importations (-1%), en cohérence avec la faiblesse de la demande intérieure. Bref, sachant que la consommation des ménages et l’investissement des entreprises sont les deux mamelles du PIB, il était donc naturel que ce dernier se tarît. Voilà pour le passé ; qu’en est-il de l’avenir ?

La production domestique valorisée

S’agissant d’anticiper la croissance de la production dans les années futures, l’Insee nous livre les clefs de sa boîte à outils. L’estimation se base sur trois facteurs : le travail, le capital et un « résidu » appelé « productivité globale des facteurs » (PGF) – schématiquement assimilé au progrès technique. Sans que l’on sache s’il s’agit d’une exclusivité de la maison, l’Institut révèle qu’il est possible de réduire ce résidu, en mesurant la « qualité » du capital et du travail – par intégration des écarts de productivité des différentes catégories de capital et de main d’œuvre. Faute d’avoir pu accéder au mode d’emploi, on ne pourra ici dévoiler que l’esprit de la démarche : par exemple, la qualité du capital s’améliore quand les machines à écrire sont remplacées par des ordinateurs, nous dit l’Insee (l’exemple est sans doute didactique mais un peu désuet : on ne connaît aucune entreprise, même minuscule, qui utilise encore des machines à écrire) ; pour le travail, l’amélioration provient d’une meilleure qualification des personnels employés – l’Insee notant avec perfidie que la réduction des charges sociales sur les bas salaires est venue contrarier la performance du ratio qualitatif… Quoi qu’il en soit, en prenant en compte cet effet qualité dans le calcul de la PGF, et en supposant constants lesdits facteurs qualitatifs, notre pays pourrait escompter une croissance de 1,2% à 1,9% par an à compter de 2015. Toutes choses égales par ailleurs, bien entendu, c’est-à-dire sous réserve du retour à une conjoncture internationale plus bienveillante. On attendra donc 2015 pour des jours meilleurs, en souhaitant que les dernières machines à écrire disparaissent rapidement du paysage et que le législateur n’ait pas la mauvaise idée de polluer l’indice de qualité du travail par des réductions de charges sociales intempestives.

Mais l’Insee apporte du baume au cœur des citoyens en consacrant de longs développements à la production domestique des ménages, autrement dit au « fait maison ». Il apparaît ainsi que les Français s’obstinent à préparer eux-mêmes la plupart de leurs repas au lieu d’aller au restaurant, à faire le ménage, bricoler dans leur maison, tondre leur pelouse ou faire du bénévolat, au lieu de recourir aux prestataires de services spécialisés. Une production globale estimée à 959 milliards d’euros, presque autant que leurs dépenses de consommation (1 085 milliards en 2010). De ce fait, note l’Insee, si l’on réintègre le « fait maison » que le PIB ignore, voilà que la consommation française augmente de 63% et le revenu brut de 55% : nous sommes beaucoup plus prospères que ne le disent les statistiques nationales…

On ne sait à quoi prélude l’introduction surprenante des tâches domestiques dans les statistiques nationales. S’agit-il de reconfigurer un nouvel indice de la richesse produite qui se substituerait au PIB – critiqué à juste raison et objectivement peu adapté à une économie de production « raisonnée » ? S’agit-il au contraire d’identifier de la valeur ajoutée légalement produite « au noir », et à ce titre échappant malencontreusement à toute taxation ? Une telle hypothèse ne peut être exclue. Car un think tank en vue a fait une suggestion que les pouvoirs publics examineraient avec intérêt : soumettre à l’impôt le loyer fictif dont bénéficie tout propriétaire de sa résidence principale. Si une telle démarche devait triompher, vous acquitterez bientôt la gabelle sur votre jardin potager.

deconnecte