La Cour, côté jardin

La Cour, côté jardin

La Cour des comptes vient de remettre son rapport annuel. Apprécié pour la rigueur méticuleuse de ses observations, l’élégance administrative de sa prose et l’indépendance hautaine de ses rédacteurs. Il semble toutefois que la Cour cherche désormais à s’affranchir du simple statut d’auditeur…

Le contrôle organisé des comptes publics a chez nous une longue histoire. Son institution remonte au bas Moyen Age, ce pourquoi le pays est, depuis lors, excellemment géré. Enfin, presque. L’audit des Chambres des comptes s’est exercé avec plus ou moins d’efficacité et de promptitude selon les époques. Le retard accumulé se chiffrait en dizaines d’années lorsque la Révolution supprima les Chambres, pour confier la charge au Corps législatif, avant que le Directoire ne place les « Commissaires de la comptabilité nationale » sous l’autorité directe de l’exécutif. Dans un cas comme dans l’autre, les résultats furent peu probants. Bonaparte y mit bon ordre en instituant une « Cour des comptes », sous la forme d’une garde prétorienne de la probité publique, cantonnée à l’audit de conformité comptable et ne rapportant qu’à l’Empereur lui-même. Les missions de la Cour se sont depuis lors largement étoffées et ses travaux sont portés à la connaissance des citoyens. Lesquels sont rares à éplucher le pavé que représente son rapport annuel, nécessairement plus austère que Les Trois Mousquetaires. Mais sa rédaction emprunte invariablement au style administratif collet monté qu’affectionnent nos hauts fonctionnaires, avec toutefois, cette année, quelques incongruités syntaxiques qui soulèvent la suspicion d’un recours aux lumpen-collaborateurs, autrement appelés stagiaires.

La mission de la Cour des comptes est toujours de s’assurer du bon emploi de l’argent public. Mais quelques lois constitutionnelles successives ont élargi ses prérogatives : notamment l’assistance du Parlement dans le contrôle de l’action gouvernementale. Ce qui l’amène à produire études et rapports à la demande de l’Assemblée nationale ou du Sénat, et ainsi d’intervenir dans le champ législatif de « l’évaluation de la performance des politiques publiques ». Mais entre l’évaluation ex post de la performance, et la critique ex ante de la politique publique, il y a une frontière qu’une technostructure indépendante ne saurait franchir. Du moins en principe…

La leçon de la Cour

Le rapport 2013 est assorti de la rigueur ordinaire que la Cour imprime à ses analyses. Et de sa modération habituelle dans la formule, même lorsque ses observations, sont sévères. Tout au plus pourrait-on ergoter sur le choix des thèmes publiés, d’enjeu inégal sur le plan financier. Certains (EDF, la SNCF, les buralistes) constituent une pâture idéale pour les médias et une inépuisable matière à polémiques. Mais les désordres invoqués n’en sont pas moins avérés. En revanche, la synthèse du rapport (le seul document que les commentateurs doivent avoir le courage de parcourir en diagonale), contient un exocet rédactionnel sur présentoir – dès la première page, c’est-à-dire qu’il ne pouvait échapper à personne. Il s’agit du digest de la partie importante consacrée à « la situation d’ensemble des finances publiques ». La synthèse note que les prévisions de recettes du Gouvernement sont « probablement trop favorables », ce que le rapport détaille, en effet, avec précision. Mais en voulant résumer ses arguments, la Cour se laisse aller à un jugement hasardeux : les prévisions sont qualifiées trop favorables parce que « fondées […] sur une croissance des prélèvements obligatoires, à législation constante, qui est trop forte par rapport à celle de l’activité économique ». Dans la bouche d’un responsable politique, ou de n’importe quel chroniqueur du Financial Times, de tels propos passeraient inaperçus. Comme relevant des automatismes du discours, autrement dit des préjugés, voire des poncifs, liés au statut ou à la fonction de celui qui les énonce. Car il n’existe pas de barème administratif, ni de martingale économique, définissant le rapport optimal entre les prélèvements obligatoires et l’activité économique. On peut certes le regretter, même s’il est possible d’avancer, sans risque d’erreur majeure, que la hausse des prélèvements pénalise l’activité plus qu’elle ne la favorise... Les magistrats de la Cour se posent ainsi en arbitres omniscients de la « bonne » politique économique, ce qui dépasse à la fois l’étendue de leur mandat et celle de la connaissance acquise.

On comprend en tout cas que les magistrats de la Cour ont leur propre idée de la stratégie budgétaire à suivre en ces temps de crise. Ils estiment que les efforts doivent être déployés dans le sens de la réduction de la dépense plus que dans l’accroissement des recettes. Partageant en cela l’opinion majoritaire dans le pays, du côté des économistes patentés comme des citoyens ordinaires – tant que la pingrerie publique les épargne. Il est reconnu que les pratiques immémoriales de la gestion « à la française », où le pouvoir d’une administration se mesure à ses facultés dépensières, constituent un sérieux handicap à toute réduction de voilure. Si l’exercice était aisé, nul doute qu’il eût déjà été expérimenté. Pour avoir un impact significatif, il faudrait que les économies envisagées dépassent largement le seuil de la simple rigueur dans l’intendance. Et taillent dans les transferts, ce solide pilier de l’Etat-providence. Le type de décision difficile à prendre, même par un gouvernement libéral. Car outre les conséquences politiques potentiellement explosives, nul ne connaît exactement les conséquences, sur l’activité du pays, d’une réduction de la dépense publique. Mais tout porte à croire qu’elle est plus déprimante encore qu’une hausse des prélèvements. On en saura bientôt davantage, car Matignon vient de reconnaître que la prévision du déficit 2013 est irréaliste. Le Gouvernement devrait donc entrer dans le jardin de la Cour, en attaquant les dépenses à la cognée. Il est temps de se mettre à l’abri...

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