La CSG très entourée

Même s’il n’est plus question d’un « grand soir fiscal », le Comité de pilotage de la fiscalité poursuit ses travaux. En vue de rendre l’impôt plus « lisible » pour les contribuables. Et accessoirement plus rentable pour le Trésor. Au menu, la CSG, un impôt proportionnel très productif que le Gouvernement aimerait rendre plus progressif.

Il n’y aura donc pas de « grand soir fiscal ». Bien. On ne sait s’il faut s’en réjouir ou le déplorer, mais la déclaration de Matignon se veut apaisante. Il est vrai qu’en matière d’impôt, toute perspective de révolution provoque légitimement le stress du contribuable, dès lors que les finances du pays sont mal en point : une remise à plat viserait nécessairement à rendre le système plus productif. Donc à ponctionner davantage le citoyen, qui se plaint déjà d’un fardeau excessif. Hélas pour lui, les perspectives ne sont guère encourageantes. Si la réécriture du Code général des impôts a été écartée – un tel chantier, convenons-en, est titanesque –, l’objectif de laminer le déficit budgétaire continue de privilégier l’accroissement des recettes. Il semble que nos autorités, toutes factions confondues, soient impuissantes à contraindre la dépense publique. Sauf à tailler dans les transferts sociaux, qui caractérisent l’Etat-providence social-démocrate, mais se trouvent paradoxalement menacés dans notre pays. Comprenne qui pourra.

Ainsi donc, il est officiellement question de ne plus accroître la charge fiscale des ménages, mais les projets de réforme se poursuivent. Afin de rendre l’impôt plus « lisible », ce qui est un objectif honorable mais pas vraiment prioritaire par les temps qui courent. Et les réformes doivent se faire « à prélèvements constants », une allégation que le contribuable accueille toujours d’une oreille suspicieuse : quand bien même le produit de l’impôt serait-il globalement inchangé, toute nouvelle répartition de la charge promet de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Voire de déshabiller tout le monde. Si bien que les non-imposables redoutent de devenir taxables, et les autres craignent de se faire massacrer. Au vu des diverses propositions qui circulent, les inquiétudes semblent plutôt bien fondées.

Un gisement prometteur

On ne sait ce qu’il adviendra de l’idée d’individualiser l’impôt sur le revenu (comme en Grande-Bretagne), c’est-à-dire de renoncer à la notion de foyer fiscal, assorti du quotient familial qui atténue l’IR en fonction de la taille de la famille. Enfin, qui l’atténue de moins en moins, avec l’abaissement régulier du plafond de l’avantage qui en résulte. Il semble par ailleurs que la France soit le seul pays du monde à pratiquer un tel système ; partout ailleurs, c’est une réduction d’impôt forfaitaire qui s’applique pour chaque enfant à charge, indépendante du niveau de revenus du contribuable. Il n’est pas douteux que l’alignement sur les usages internationaux serait coûteux pour les familles à revenus élevés.

Le prélèvement de l’IR à la source continue de faire l’objet de toutes les attentions. A l’exception de l’Italie, c’est une pratique courante en Europe – l’Allemagne en a généralisé le principe depuis 1920. D’une façon générale, ce sont les entreprises qui jouent le rôle de collecteur, sur la base des revenus de l’année précédente : le même résultat pourrait être obtenu chez nous en généralisant la pratique du paiement fractionné par prélèvement bancaire. Ce qui permettrait d’exonérer les entreprises d’une charge de gestion supplémentaire, et épargnerait à l’Etat les risques de faillite. L’objectif poursuivi est ici d’assurer au Trésor la régularité de ses rentrées ; les modalités de paiement n’auraient aucun impact sur le montant des ressources collectées.

Il n’en est pas de même avec la question évoquée – et semble-il rejetée, au moins jusqu’à ce jour – de la fusion de l’IR et de la CSG. Les tenants de cette option sont ceux qui reprochent un manque de progressivité à notre barème fiscal, lequel est jugé généreux à l’égard des titulaires de revenus élevés, sans compter l’impact des « niches fiscales » dont bénéficient ces derniers. Il est exact que l’IR est plus lourd dans la plupart des pays de l’OCDE, où son produit représente en moyenne 8,4% du PIB. Alors que l’IR et la CSG représentent ensemble 7,3% du PIB français. Mais pour éclairantes qu’elles soient, à savoir que l’imposition des ménages est chez nous plus clémente que chez nos voisins, ces statistiques ne disent pas comment se répartit la charge de l’impôt sur le revenu. En revanche, la plus récente suggestion pour le traitement de la CSG nous éclaire sur la façon dont cette répartition devrait s’opérer. Christian Eckert, rapporteur du budget, propose – entre autres solutions de pure rhétorique – de supprimer totalement la déductibilité de la CSG du revenu imposable. Aujourd’hui, cette déductibilité est partielle, en phase avec le statut bâtard de cette contribution, qui est un prélèvement social de nature… fiscale. Les cotisations sociales sont entièrement déductibles du revenu imposable ; les impôts ne le sont pas ; la CSG l’est partiellement. Une particularité qui serait préjudiciable aux titulaires de revenus modestes, car, exonérés d’IR, ils ne profitent pas de cette déductibilité. Alors qu’ils paient à taux plein la CSG, comme tout le monde.

L’arbre de la « justice fiscale » et de la « lisibilité » cache ici la forêt du bonus potentiel pour le Trésor : environ 10 milliards d’euros de recettes supplémentaires – avant réaffectation, bien sûr, puisqu’il est admis – promis, juré – que les réformes se feront « à prélèvements constants ». Si les plus démunis n’ont pas à craindre pour leur imposition (de toute façon, on ne peut pas tondre un œuf), les autres peuvent commencer à calculer ce que va leur coûter la non-déductibilité. Car la mesure est d’une application tellement simple, et d’un rapport tellement élevé, qu’il serait tout-à-fait extraordinaire qu’elle ne soit pas adoptée.

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