La FED au spectacle

La FED au spectacle

En presque cent ans d’existence, la Banque fédérale américaine n’avait jamais organisé de conférence de presse. C’est désormais chose faite. Car la FED veut être aimée, comprise, et devenir « transparente ». Mais Ben Bernanke n’a pas l’abattage de son prédécesseur Greenspan, ni son bagout d’alchimiste d’opérette. C’est raté.

La haute finance américaine s’intéresse-t-elle à la littérature italienne ? Sans aller jusqu’à une telle outrance, le Président de la Banque fédérale, Ben Bernanke, est suspect d’avoir extrait du Guépard, de Lampedusa, ce très célèbre aphorisme : « Il faut que tout change pour que rien ne change ».

Car pour la première fois depuis la création de l’institution, son Président s’est adonné au spectacle people de la conférence de presse, le 27 avril. Nos quotidiens racontent que Ben se serait fait tuyauter sur le sujet par ses collègues de la BCE et de la Banque d’Angleterre, coutumiers de l’exercice. Comme ces derniers n’ont pas enfreint leur devoir de réserve en caftant l’anecdote, c’est donc que les services de presse de la FED ont distillé l’information qui, vraie ou inventée, transpire l’ingénuité : à force d’admirer leur nombril, les éminences finissent par penser que leur émois de jouvencelle passionnent le public.

Quoi qu’il en soit, il convient de s’interroger sur les motifs qui ont poussé Bernanke à sacrifier à un rituel que la Banque centrale eût jugé vulgaire, voire sacrilège, il y a encore peu de temps. Les raisons ne manquent pas : elles se concentrent dans le torrent de critiques qu’essuie l’institution. Les coups pleuvent de partout : du clan démocrate, bien que la politique de la FED soit nécessairement en phase avec la Maison-Blanche ; de la faction républicaine, bien que Bernanke n’ait rien négligé pour préserver Wall Street de la déroute ; du Tea Party, enfin – sans surprise : la fraction « libertarienne » du mouvement emboîte le pas aux récriminations (de longue date) du sénateur républicain Ron Paul, lequel prend une stature nouvelle depuis qu’il est devenu un probable candidat à l’investiture suprême pour 2012, avec des chances sérieuses de tenir la rampe.

Ce qui lui vaut un déchaînement médiatique de la part des commentateurs appointés, et l’étonnement affectueux de Dean Baker (du Centre d’études économiques et politiques) : « Ron Paul est la plus rare de toutes les créatures : un politicien honnête »... Le sénateur se montre féroce à l’égard de la FED. Pas seulement à cause de son monopole d’émission monétaire (le monopole suscite l’aversion des Libertariens) ; il y a l’accusation de pratiques mafieuses, à ce point prises au sérieux qu’une commission d’audit de la FED a été instituée –présidée par Ron Paul lui-même. Ce dernier doute que la réalité soit conforme au bilan publié par l’Institut d’émission. Notamment pour les réserves d’or, qui sont suspectes d’avoir été largement prêtées à des spéculateurs, et qui ne figureraient dans les coffres que sous la forme de reconnaissances de dettes. Ce qui n’est pas tout-à-fait la même chose, convenons-en…

Une obscure clarté

Il a fallu également une très forte pression politique pour que la FED dévoile les bénéficiaires des aides accordées aux banques, lors du démarrage de la crise en 2008. Elle se refusait jusqu’alors d’en divulguer le détail pour ne pas « influencer le marché »… Lequel eût été incontestablement influencé, s’il avait alors appris que de grands noms de la finance étaient en détresse. Pour tenter d’enrayer les critiques, la FED a donc décidé de renforcer la « transparence », ce qu’elle aurait débuté, selon Bernanke, depuis plusieurs années. Sans que quiconque l’eût remarqué.

La « Glasnost », disent les commentateurs, reprenant la formulation de Gorbatchev pour qualifier la politique qu’il adopta… juste avant la chute du régime soviétique. Ce n’est pas de très bon augure pour Ben et son institution. En tout cas, il s’agit essentiellement de l’apparence. Pour le fond, on aura noté dans les propos de Bernanke la constante transparence de la langue en loupe de noyer : « un dollar fort et stable est dans l’intérêt des Etats-Unis et de l’économie mondiale » a-t-il rappelé pour la énième fois depuis sa nomination (1er février 2006), époque à laquelle 1 dollar valait 0,84 euro. Aujourd’hui, c’est 0,675 euro, après être passé naguère par 0,625 euro. Pour la force, on repassera. Pour la stabilité, mieux vaut ne pas en parler.

Heureusement, on a droit à une révélation : pour que le dollar soit fort, il faut aux Etats-Unis une croissance robuste et une inflation faible. Non !? On n’aurait jamais cru. L’ennui, c’est que les perspectives d’activité ont été revues à la baisse, et celles de l’inflation à la hausse. Ce qui n’a rien d’étonnant : si le deuxième étage du Quantitative Easing (QE2) a bien eu un impact positif sur la croissance, la formidable création monétaire qui en a résulté ne pouvait laisser indemne le niveau général des prix.

Et le QE2 s’arrête fin juin, mais la masse monétaire ainsi créée ne sera pas retirée du système (à l’échéance des bons du Trésor, de nouveaux titres seront acquis). Enfin, Ben nous révèle que « le déficit budgétaire ne sera pas soutenable à long terme ». On s’en doutait un peu. Si bien que l’on peut, sans trop de risque, prédire un avenir contraire à ses attentes : à partir de cet été, les taux longs américains vont remonter, sous le poids de la demande du Trésor US qui ne sera plus ajustée par la FED. Faute de carburant surnuméraire, la croissance va s’essouffler. Et le dollar sera encore moins fort et stable qu’aujourd’hui. Merci pour la transparence, Benny.

Par Jean-Jacques JUGIE

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