La France en Une

Les commentateurs étrangers se sont peut-être montrés un peu arrogants dans leur approche du remaniement français. Non que l’événement soit de portée cosmique, convenons-en. Mais il dépasse la dimension picrocholine d’une mêlée de gros bras aux ego assortis. Et soulève bien des questions embarrassantes.

Voilà au moins une prévision qui n’aura pas raté son rendez-vous : depuis longtemps pressentie comme « chaude » pour l’Exécutif, la rentrée politique n’aura pas déçu les attentes. Et encore n’a-t-on pas épuisé les innombrables scénarios secondaires qui prospèrent à l’ombre d’un remaniement ministériel, lequel n’est finalement qu’un coup de torchon, auquel les circonstances confèrent une tonalité particulière. Depuis que l’Elysée a fait le choix de la ligne « mainstreet », à savoir le strict respect de la bien-pensance institutionnelle des temps présents (« qui paie ses dettes s’enrichit » ou « à bon chat bon rat »), on ne pouvait plus faire l’économie d’une crise au sein de l’équipe gouvernementale, dont la faction gauchère était légitimement tétanisée par l’option « austérité », consubstantielle au choix dit « libéral-social » du Président.

Le différend est désormais arbitré, avec la constitution d’un gouvernement Valls 2, qui se prive des services des ministres réfractaires à l’austérité, et de ce fait pourrait retrouver cohérence et sérénité qui faisaient défaut dans les temps montebourgiens. Sous réserve que le débat de fond ne vienne pas bousculer une apparence d’harmonie. Car le combat de la stricte orthodoxie budgétaire, incarnée par l’arrivée du banquier Emmanuel Macron aux avant-postes (de l’écurie Rothschild, pour corser le symbole), pourrait bien durcir la teneur des débats budgétaires à venir et ainsi compromettre le ronron parlementaire –celui où la majorité résiduelle (très courte) ne ferait jamais défaut au Premier ministre, hypothèse difficile à valider dans le contexte présent. Car s’il faut bien tenir compte de l’agenda personnel des « dissidents » pour juger de l’intensité de leurs menaces – le calendrier des trois principales personnalités concernées n’est pas nécessairement superposable -, on ne peut sous-estimer la portée réelle de leurs convictions, à l’aune de l’intérêt général, quant aux choix politiques qui s’apprêtent à être confirmés : le Parlement compte de nombreux élus sensibles, voire très sensibles, au diktat européen sur l’orthodoxie, et susceptibles de s’enflammer en opposants sans nuance si le chiffon rouge continue d’être agité sous leur nez.

En quête d’une politique

Au vu de l’accueil réservé au Premier ministre par l’Université d’été du Medef, juste au lendemain de la nomination du nouveau gouvernement – une standing ovation un tantinet trop insistante -, le positionnement officiel est désormais clairement établi, sans qu’il ait été nécessaire de pilonner la nécessité de « réformes structurelles » en matière d’emploi, le thème assurément le plus polémique qui soit entre les oppositions majoritaires. Mais en réalité, voilà un moment que se perpétue l’ambiguïté, tant au niveau européen qu’international, sur la pertinence supposée de politiques publiques orientées vers le désendettement massif. Tout le monde a désormais pris en compte le caractère récessif d’une gestion « sérieuse » ou « austère », comme l’on voudra, quand l’environnement international ne permet pas de compenser l’aphasie de l’activité intérieure – comme c’est le cas en Europe en général, et en France en particulier. Voilà pourquoi nos ministres concernés proclament quotidiennement leur foi en une gestion rigoureusement millimétrée (celle qui convient à la ligne officielle de la Commission et aux attentes formelles des marchés financiers), tout en disputant par ailleurs – au sein de la même administration européenne – les moyens d’atermoyer afin de ne pas respecter, avec le plus d’élégance possible, des engagements de longue date maintes fois différés.

Qu’ils soient bruxellois, du FMI ou de la Banque mondiale, les économistes-experts (qui existent bel et bien, cela dit sans ironie aucune) ne s’émeuvent pas outre mesure du double langage pratiqué par les « zinzins » qui pilotent, plus ou moins ouvertement, la gestion d’Etats de plus en plus nombreux et de plus en plus souffreteux. De fait, personne parmi eux ne voudra être sur la photo quand il apparaîtra probable que le désendettement au siphon est une conduite criminelle dont des décennies de repentir ne suffisent même pas à effacer le souvenir. Bon, s’il faut faire une croix sur les bénéfices supposés de l’orthodoxie, que penser d’une relance par la demande ? La réponse est déjà largement rebattue, jusque dans ces colonnes : notre planète est expurgée de ses richesses et pourtant produit des ressources insuffisantes pour satisfaire la gloutonnerie de ses exploiteurs. Là, c’est un blocage mécanique. Finira-t-on, de guerre lasse, par marier les contraires ? Ou par admettre que les sciences humaines, comme l’économie, ne consistent pas à résoudre des problèmes de baignoires et de robinet ? On aimerait saluer ici la démarche et les travaux de cet anthropologue qui s’est piqué d’économie, et qui aura indubitablement bouleversé l’approche de la discipline. Son dernier opus devrait bientôt paraître et repose sur un parti-pris ambitieux : Paul Jorion s’est glissé dans la pensée de Keynes au moment où cette dernière, minée par l’impatience et la maladie( ?), perd sa fulgurance ordinaire . Au moment où Keynes commet ce que John le Carré a joliment appelé « l’erreur du vieil espion pressé ». Déconstruire la démarche d’erreur de l’un des esprits les plus brillants de son temps, afin d’obtenir des réponses inédites (et probablement iconoclastes) à des interrogations existentielles, voilà qui est plutôt revigorant.

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