La longue agonie du (...)

La longue agonie du G20

Dans cette phase d’apaisement relatif que connaît la crise en cours, il était permis de penser que le dernier G20 aurait abordé bravement le chantier de la reconstruction. La déception est à la mesure des attentes : le replâtrage continue. Quant à la réforme du système financier, elle a été pudiquement enterrée.

Il était chargé d’espérances, le dernier G20. Comme le grand blessé sortant du service des urgences vers le bloc opératoire, le monde entier attendait beaucoup de l’expertise supposée de nos dirigeants en matière de traumatologie. Après l’accident, les premiers gestes ont certes préservé le patient du collapsus : le poumon de la finance a été mis sous assistance respiratoire, mais au prix d’une ascèse budgétaire qui ralentit le cœur de l’activité. Il était donc temps de passer à la chirurgie réparatrice. Le programme du sommet de Moscou était ainsi prometteur, après les ambitions volontaristes affichées par le G8 : on allait redonner du tonus à l’activité, irriguer la planète d’un nouveau système financier rigoureusement régulé, réduire la fracture du chômage, fluidifier les humeurs du commerce international et irradier le cancer de la corruption. Convenons qu’un tel sommaire ne se singularisait pas vraiment par son originalité ; mais en mettant à l’ordre du jour tous les thèmes des désordres présents, ou presque, la présidence russe exhortait les grandes nations à une offensive d’envergure. Sauf qu’en isolant chacun de ces sujets, le Sommet s’exposait à une défaillance méthodologique coutumière aux grand-messes internationales : la confusion des causes et des effets.

De fait, la récession rampante, l’explosion du chômage, l’insolvabilité souveraine, la généralisation du brigandage financier et fiscal, tous ces maux résultent directement d’une faiblesse architecturale du modèle dominant, et de l’incroyable fragilité de son principal pilier : le système financier. Les allégations de John Law, qui exploita ses qualités d’escroc charismatique pour devenir le précurseur génial de la finance moderne, sont toujours d’actualité : « La monnaie est dans l’Etat ce que le sang est dans le corps humain : sans l’un on ne saurait vivre, sans l’autre on ne saurait agir ». Mais le circuit de l’argent est autrement plus complexe dans le monde globalisé d’aujourd’hui que dans le royaume français des débuts du XVIIIe. Même si la nature des risques n’a pas changé : une licence excessive dans la création monétaire conduit toujours à l’apparition d’assignats.

Consensus a minima

Ainsi, le communiqué final du dernier G20 témoigne de la lucidité des dirigeants : « des risques importants persistent » et « la croissance est encore trop faible », admettent-ils. Bien. Mais reconnaissons que s’ils avaient prétendu le contraire, les grands argentiers se fussent discrédités à jamais. Pour autant, affirmer que « les risques les plus extrêmes se sont réduits », sous prétexte que le climat s’est amélioré sur les marchés financiers, c’est peut-être faire preuve d’un optimisme prématuré. Car tous sont bien conscients que la trêve actuelle sur les marchés résulte directement de la prodigalité de quelques grandes banques centrales, qui transfusent sans relâche les institutions financières, toutes affectées de méchantes plaies ouvertes. On le sait, le recours forcené à la planche à billets est l’arme de la dernière chance, celle que l’on mobilise quand l’artillerie conventionnelle a épuisé ses effets. Au-delà de ce stade, il ne reste plus que la prière et le repentir. En attendant, les effets collatéraux de ces stratégies désespérées commencent à se faire sentir : le dollar, le yen et la livre anglaise s’érodent face aux autres monnaies. Face à l’euro, en premier lieu, la BCE n’ayant que timidement eu recours aux « moyens non conventionnels » - ce qui pourrait ne pas durer éternellement. L’Europe souffre des effets, sur son commerce extérieur, de cette concurrence monétaire objectivement déloyale, mais moins que certains pays émergents qui se trouvent déstabilisés par la soudaine cherté relative de leur monnaie – et l’afflux non désiré de capitaux étrangers.

Un tel paysage ressemble, à s’y méprendre, à celui d’une guerre monétaire conduite sous les canons de la « dévaluation compétitive », dont la généralisation promet autant de dommages qu’un conflit nucléaire. Ce pourquoi les participants au Sommet ont tenu à confirmer la pureté de leurs objectifs : « La politique monétaire doit viser la stabilité des prix domestiques et continuer à soutenir la reprise économique, en conformité avec les mandats respectifs des différentes banques centrales ». Traduction en langue vulgaire : à chacun sa politique monétaire, pourvu qu’elle ne soit pas suspecte d’être dictée par l’intention exclusive de nuire à ses voisins. Pas question, donc, de « fixer des taux de change à des fins de compétitivité » - on se demande bien, en passant, à quelles autres fins une telle manœuvre pourrait être destinée. Résulteront de cette ambiance fair play des parités monétaires complètement justifiées, grâce à l’efficience irremplaçable du… marché des devises. Lequel, c’est bien connu, est l’arbitre infaillible du juste fixing d’une monnaie. En foi de quoi le club du G20 s’est-il engagé « à progresser plus rapidement vers des systèmes de taux de change davantage déterminés par les marchés » et en même temps qui « reflètent les fondamentaux économiques ». Un engagement absurde, car il reconnaît explicitement que les marchés font peu de cas des fondamentaux. Un engagement déprimant pour ceux des Etats qui défendent la pressante nécessité d’une refonte complète du système monétaire mondial. Laquelle réduirait considérablement les attributions du marché dans la fixation des changes et mettrait fin au tribut que les Etats-Unis lèvent sur la planète grâce à l’hégémonie du dollar. La Russie, la Chine, la France et quelques émergents plaident pour la réforme. Bien que cette dernière soit incontournable, elle demeure manifestement minoritaire…

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