La Poste à petite vitesse

L’un des plus anciens témoins du génie administratif français cherche ses marques sous son label d’entreprise publique. La Poste a perdu le jackpot téléphonique mais conserve le fardeau coûteux du courrier traditionnel. Qui exige une forte revalorisation du prix du timbre. Et de l’imagination…

Voilà qui est fait. Ah, La Poste ! C’est chez nous une longue et belle histoire, qui débute avec le sens affûté de l’organisation de Louis XI : pour rétablir un semblant d’ordre après la chienlit de la guerre de Cents Ans, il institue les Relais de poste (en 1477), des stations-écuries distantes de cinq à six lieues, afin de sécuriser l’acheminement du courrier de l’administration royale. François 1er ouvre le service au courrier du particulier (en 1526) par la création des Offices de messagers royaux, avant que ne soit mise en place la Ferme générale des Postes (en 1672) dont Louvois sera le premier surintendant. La Poste est alors une grosse affaire publique, jusqu’à ce qu’elle connaisse un choc logistique de taille avec l’arrivée du chemin de fer. La locomotive transporte l’information plus rapidement que les 17 000 chevaux que compte alors le service postal. Puis un nouveau choc technologique avec l’invention du message filaire – télégraphe et téléphone – qui seront également exploités par le service public : fusionnées en 1879, les activités courrier et téléphonie (du moins télégraphie, à l’époque) seront filialisées en deux directions générales en 1946 (DGT : télécommunications, et DGP – la Poste proprement dite). Ce schéma vole en éclats avec la réforme des PTT de 1990 : nouvelle séparation et transformation, l’année suivante, des deux secteurs en entreprises publiques autonomes, sous de fortes inquiétudes syndicales. Une avancée vers la privatisation de ces activités : tel a été le cas de France Télécom. Attributaires d’actions de la firme avant son introduction, les personnels n’ont finalement pas trop regretté l’évolution de leur statut, compensée par d’honorables plus-values sur titres.

Pour La Poste, l’affaire est un peu plus complexe : la « loi postale » de 2010 avait pour objet de transposer la directive européenne relative à l’ouverture à la concurrence du marché du courrier, dès 2011. Et accessoirement de transformer La Poste en société par actions – perspective qui n’a réjoui ni le public ni les personnels concernés –, mais l’entité avait besoin d’être recapitalisée : l’Etat et la Caisse des dépôts ont ainsi renforcé les fonds propres, mais la garantie que l’entreprise resterait publique (demande du Sénat) n’a finalement pas été honorée. A un terme plus ou moins lointain, La Poste est ainsi susceptible d’accueillir des actionnaires privés, sous réserve, bien entendu, que l’avenir de la firme puisse les intéresser. Ni les développements récents, ni la situation présente, ne plaident véritablement en faveur d’un engouement privé pour l’un des derniers services publics français…

Des services approximatifs

Si La Poste a longtemps joui d’une excellente image dans l’opinion publique, son aura s’est plutôt ternie ces dernières années. Pour une raison principale : le public ne reconnaît plus le service que lui proposait antérieurement l’organisation, et se demande même si La Poste sait quels métiers elle est supposée pratiquer. Convenons que le développement exponentiel du numérique ait complètement bouleversé le recours au courrier traditionnel ; il en résulte nécessairement un considérable manque à gagner. Mais dans le même temps, les ventes en ligne explosent et avec elles, le nombre de colis à transporter. La Poste a bel et bien organisé un secteur spécialisé en la matière ; mais au lieu de profiter à plein de sa logistique propre – ses facteurs connaissent le territoire dans ses moindres recoins et sont normalement équipés pour le desservir efficacement – il semble que l’entreprise s’appuie au contraire sur de nombreux sous-traitants pour acheminer son fret. Avec les dommages collatéraux prévisibles de l’externalisation : service approximatif, délais non respectés, acheminements fantaisistes voire pertes suspectes. Pour des services « haut de gamme » (promesse de livraison sous 24 heures, par exemple), et à ce titre chèrement facturés, les bugs multiples ne sont pas admissibles. D’autant plus si le « suivi » robotisé apporte des (non) réponses ésotériques aux clients insatisfaits.

De fait, La Poste se présente désormais comme étant en premier lieu une banque – qui génère 25% des résultats du groupe. Ce qu’elle est, du reste, à part entière depuis le 1er janvier 2006 – après avoir longtemps offert des « services financiers » à son public. L’établissement dénombre un peu plus de 11 000 comptes clients (dont 4% de personnes morales), ce qui n’est pas négligeable, tout en étant loin des portefeuilles des grands établissements. Mais La Poste se positionne comme une banque très bon marché, la seule à être créditée d’une mission « d’accessibilité bancaire » (offre de services bancaires à toute personne, bancarisée ou non), et bénéficiant d’une forte densité de guichets (ceux des antennes courrier).

L’entreprise est-elle performante ?

Comme c’est souvent le cas en la matière, on entend surtout les critiques : les branches courrier et colis perdent de leur efficacité et la banque reste artisanale (retraits très limités au guichet, virements d’une lenteur confondante, dates de valeur à rallonge imputées à des « erreurs informatiques » - mais de grandes banques sont affligées des mêmes syndromes). Une satisfaction pour les clients : ils bénéficient d’une double garantie étatique. Celle de tous les établissements plus celle des actionnaires publics – pas mal, par les temps qui courent. La forte majoration du prix du timbre, acceptée par l’autorité de tutelle, va-t-elle permettre à la firme de se stabiliser et de trouver les marques de son développement ? On se saurait trop conseiller à son président d’emboîter le pas de Louvois et d’exploiter les vrais atouts du groupe : son personnel et le maillage du pays.

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