La saison du collectif

Non, il n’est pas question de football. Mais du collectif budgétaire qui intervient après la canonnade des européennes. Il fallait mettre en forme le contenu du « Pacte de solidarité ». Et cajoler un électorat décontenancé. Voilà qui est fait. Il faut également consentir à de nouvelles économies, car la dérive se poursuit…

La vie quotidienne du Gouvernement serait beaucoup plus « pépère » s’il ne fallait, en permanence, se coltiner à l’intendance budgétaire. Les plaies d’argent ne sont pas souvent mortelles, mais elles sont toujours attentatoires à la cohésion familiale. Depuis sa tour de contrôle bruxelloise, la Commission européenne scrute avec suspicion les livres de comptes du cousin français, et ne délivre son quitus qu’après avoir formulé des réserves qui préludent à de futures admonestations. Dans le clan rapproché de l’Assemblée nationale, de multiples voix discordantes se font entendre : il est difficile de s’accorder sur les moyens de respecter les objectifs budgétaires imposés par l’Union. Pire encore : il est difficile de s’accorder sur le bien-fondé même des injonctions communautaires. On imagine sans peine que l’Opposition n’a pas trop de mal à jeter un peu d’huile sur le feu des dissensions intestines.

Dans ce contexte, la présentation d’un collectif budgétaire relève de la haute voltige. L’Exécutif se trouve pris entre le marteau communautaire et l’enclume parlementaire, sous le climat orageux d’une opinion publique manifestement ombrageuse. Et sous les basses pressions d’une conjoncture obstinément dépressionnaire. En s’accrochant à l’objectif prévisionnel d’une croissance de 1% sur l’exercice en cours, le ministre des Finances fait peu de cas du recul de l’activité au premier trimestre et de l’élan anémique constaté depuis lors. Un objectif dont l’atteinte paraît « moins probable » au Haut conseil des Finances publiques, et peu probable, voire illusoire, à la plupart des économistes. Sauf à supposer que les deux « moteurs allumés », qui vrombissent aux oreilles de Michel Sapin, vont arracher le pays à la bonace qui alanguit son allant. Il s’agit d’une part de l’initiative récente de la BCE, dont il a déjà été fait état dans ces colonnes et qui peut, en effet, dynamiser la distribution de crédit. Avec toutefois pas mal d’incertitudes, déjà évoquées, qui ne seront pas rapidement levées : il faudra un peu de temps avant que le moteur bancaire atteigne (éventuellement) sa température de chauffe. Quant au second moteur – le Pacte de responsabilité -, ses modalités sont désormais arrêtées et le Gouvernement en attend des effets positifs sur un délai rapide. Là aussi, il semble prudent d’afficher un optimisme modéré, même si l’effort budgétaire qui en résulte est significatif : il y a pas mal de brèches à colmater, dans les comptes des petites et moyennes entreprises, avant que ces dernières puissent investir et embaucher gaillardement. Bref, si la mécanique est en ordre de marche vers la fin de l’année, ce ne sera déjà pas si mal ; mais la croissance attendue a peu de chances d’être au rendez-vous : l’Europe et les pays émergents affichent déjà des performances inférieures aux prévisions du début de l’exercice.

Un budget rapetassé

Cet environnement laisse supposer que Bercy ne va pas cesser de rechercher de nouveaux moyens d’endiguer les dérives prévisibles, à moins que l’Elysée ne finisse par renoncer aux objectifs négociés avec Bruxelles (3,8% de déficit en fin 2014). Déjà, ce collectif budgétaire doit corriger le manque à gagner enregistré sur les recettes fiscales de l’exercice dernier. Il en résulte une série d’économies supplémentaires, pondérées des heureuses surprises en matière de dépenses sociales, qui doivent générer un montant de 5,8 milliards d’euros. L’Etat s’engage à prendre sa part du fardeau et en profite pour ponctionner le budget de la Défense, jusqu’ici défendu à l’arme lourde par son ministre, soutenu pour l’occasion par les promesses réitérées du Président lui-même. Il faut donc comprendre qu’en cas d’arbitrage, c’est Matignon qui a la main. A moins qu’il faille y voir les premiers effets de l’intégration récente d’une nouvelle conseillère économique et financière à l’Elysée. Après un joli parcours au sein de grandes banques (Merrill Lynch, Barclays) et d’organismes réputés (CEPII, OCDE), tout en assurant un enseignement dans des écoles prestigieuses (Polytechnique et Sciences Po, notamment), Laurence Boone vient d’être débauchée de son poste de chef-économiste chez Bank of America Europe. Les commentateurs n’ont pas manqué de relever perfidement que dans une chronique récente publiée par le quotidien L’Opinion (qui se réclame « libéral, pro-business et européen »), Laurence Boone descendait en flammes la politique économique française – ou plutôt fustigeait (avec pertinence) l’absence de politique économique. On comprend sans peine que cette nomination ait refroidi la fraction gauchère du parti majoritaire.

En attendant de connaître le profit que le pays va tirer de ce recrutement provocateur, les élus dépensent toute leur énergie à chipoter sur le contenu d’une mesure de séduction de ce collectif : le milliard de rabais fiscal aux titulaires de revenus modestes. Car après la purge électorale des européennes, et avant l’envoi à chaque contribuable de son avertissement fiscal (lequel ne promet que de mauvaises surprises), le nombre des aficionados du Président promettait de passer de faible à insignifiant. Quels que soient les critères qui seront finalement retenus, l’enjeu budgétaire sera le même : le financement de la mesure est d’ores et déjà couvert par les résultats inespérés de la lutte contre la fraude fiscale (les repentis suisses sont finalement plus nombreux, ou plus riches, qu’on ne le supposait). C’est ce qui est formidable dans la tambouille budgétaire : dès qu’une ligne passe au-dessus des prévisions, on s’empresse de claquer l’excédent. Pour celles qui seront au-dessous, on décidera le moment venu. Décidément, il était temps que l’Elysée engageât un conseiller financier formé chez les banquiers : eux au moins savent compter !

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