Le baromètre de l'épargne

Le baromètre de l’épargne

La propension à l’épargne est le reflet de dispositions individuelles, mais aussi de particularités culturelles. Certaines populations présentent historiquement un profil de cigales. Les Français sont plutôt des fourmis. Mais il n’est pas certain que le choix de leurs placements soit vraiment conforme à leurs attentes réelles.

Le comportement d’épargne constitue toujours un indicateur efficace, pour témoigner des anticipations du pékin sur la conjoncture à venir. Même il n’est pas aisé d’en tirer des conclusions universelles : les Français, par exemple, affichent depuis longtemps un taux d’épargne élevé ; les Chinois aussi, et pas seulement depuis la conversion du pays au « socialisme de marché », que nous appelons en Occident capitalisme d’Etat. Au vu des profondes disparités entre ces deux sociétés, il est permis de supposer que les motivations ne sont pas exactement semblables. Même si l’épargne poursuit toujours le même objectif : provisionner de possibles ou probables besoins futurs. Sur cette base, Américains et Anglais témoigneraient d’une confiance inébranlable en l’avenir : non seulement leur taux d’épargne est historiquement rachitique, mais ils empruntent massivement pour étancher leur besoin irrépressible de consommation, ou d’équipement s’agissant de leur résidence et de leur(s) véhicule(s). Il en résulte que dans les phases d’expansion économique, la croissance est ordinairement plus forte parmi les populations dépensières que chez leurs homologues plus parcimonieuses. Mais évidemment, dans les périodes de déprime, l’impact de la récession y est plus violent. Voire dévastateur si le marasme perdure, car outre l’amoindrissement des revenus, il faut faire face à l’apurement de la dette. Un effet de ciseau qui vaut aussi bien pour les ménages que pour les collectivités publiques.

Même si les statistiques, dont la sincérité est douteuse, ne le démontrent pas encore expressément, l’ensemble anglo-américain devrait encaisser cette année les méchants dividendes qui reviennent aux cigales quand la bise se lève. Il en résulte que l’optimisme militant, qui caractérise la culture yankee et celle de sa cousine british, est bien un accélérateur de prospérité en période de vaches grasses, mais aussi un redoutable coupe-gorge quand la conjoncture se retourne. Si leur modération pénalise les Français en phase d’expansion, leur solide propension à l’épargne les protège-t-elle en cas de retournement ? Tel a été manifestement le cas dans les phases de basse conjoncture que le pays a connues depuis la fin des Trente Glorieuses. Mais au cas présent, il pourrait en être autrement, selon la nature du choc qui marquera nécessairement l’apogée de la crise présente : soit la « politique de rigueur » fonctionne et la solvabilité des débiteurs est préservée au prix d’une longue déflation ; soit les digues sont enfoncées et l’on débouche sur une crise monétaire. Dans le premier cas, l’épargne financière constitue un trésor ; dans le second, elle est laminée.

Créances insoupçonnées

On dispose d’une vision assez précise de la façon dont les Français constituent leurs stocks d’épargne financière et comment ils en organisent les flux. L’année dernière, par exemple, ils se sont montrés modérés dans l’abondement de leurs contrats d’assurance-vie, mais généreux dans l’alimentation de leurs comptes et livrets réglementés. A l’exception notable du dernier trimestre, période traditionnelle de décaissement pour couvrir les dépenses relatives aux fêtes de fin d’année. Quoi qu’il en soit, l’essentiel de l’épargne financière des Français se concentre sur deux types d’actifs : l’assurance-vie, support fétiche, affichait à la fin 2011 un encours global d’environ 1 670 milliards d’euros. Livret A et LDD (livret de développement durable, ex-Codevi) réunissaient environ 280 milliards. De quoi se constitue la contrepartie de ces masses considérables ? De créances, bien entendu, pour la plus large part : les unités de compte « actions » des contrats d’assurance ne représentent qu’une part modeste de l’ensemble. Il faut en tirer ce constat : sous l’angle purement patrimonial, les Français ont un avantage évident à endurer une austérité prolongée. Avec pour contrepartie une longue récession et une déflation sévère – sous l’hypothèse qu’elle permette un retour à l’équilibre, ce qui n’est pas garanti. Si, au contraire, la planète financière était confrontée à une épidémie de défauts souverains (la Grèce étant en bonne place pour ouvrir le bal), on s’expose alors à une crise monétaire majeure. Sans doute ce scénario aurait-il pu être évité si les autorités avaient fait accepter, en son temps, un « coup d’accordéon » significatif sur le passif d’Athènes. Mais tel n’a pas été le cas.

S’accroît ainsi le risque d’un krach monétaire, qui serait extrêmement douloureux pour le stock d’épargne financière des Français. Il est permis de supposer que la majorité des épargnants n’est guère consciente de ce risque, persuadée que l’assurance-vie et les livrets sont des « valeurs sûres » face à l’instabilité présente. En témoigne la mollesse de la demande face à l’émission récente du Crédit foncier de France, renouant avec la pratique, depuis longtemps abandonnée, de la souscription directe (le placement des obligations est maintenant syndiqué). Le CFF offre du papier à 6 ans assorti d’un taux brut de 4,75%, soit presque 3% nets après les divers prélèvements. C’est nettement mieux que le rendement des fonds en euros de l’assurance ou que celui du Livret A. Pourtant, en un mois complet, la collecte n’a représenté que 100 millions d’euros. Une paille. Certes, une obligation ne présente pas la souplesse d’un livret, mais ses caractéristiques la rendent comparable à un placement en assurance. Ainsi, en snobant une alternative sympathique à leurs placements habituels, les épargnants démontrent qu’ils se défient des créances. Alors qu’ils en possèdent des quantités par ailleurs, sans nécessairement en être conscients…

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