Le business par prédation

Le business par prédation

Chaque jour qui passe vient confirmer le principal argument du modèle économique dominant : la prédation. Sous l’expertise des Etats-Unis, qui cumulent les rapines militaires, la cavalerie monétaire et les contrats léonins. Tout en pillant les informations confidentielles de leurs amis et alliés. Edifiant.

Le chroniqueur a le sentiment d’avoir gagné une nouvelle amie, en la personne de Janet Yellen, la future présidente du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale des Etats-Unis, qui succèdera à Ben Bernanke à la fin janvier. Reconnaissons que depuis pas mal de temps, la direction de la FED revient à des personnalités qui feront date dans l’histoire financière mondiale. Notre vieux pote Alan Greenspan, sacré « gourou des marchés », fut le premier faux-monnayeur industriel de l’Institution, qui fit mine de s’étonner de l’« exubérance irrationnelle » des Boursiers, après les avoir dopés aux hallucinogènes monétaires. Son successeur Bernanke, surnommé « Helicopter Ben » après qu’il eut promis de déverser par hélicoptère autant de liquidités que nécessaire pour combattre toute faiblesse de l’économie – promesse largement tenue –, a perfectionné les hardiesses de son devancier par le recours massif à la planche à billets. Dans un avenir proche, dame Janet devrait supplanter ses prédécesseurs dans les pratiques pudiquement baptisées « non conventionnelles », c’est-à-dire honteusement malhonnêtes. Ses premiers discours, après son investiture, ne laissent planer aucun doute sur ses intentions : ce qu’a fait Ben Bernanke est très bien, et elle promet de faire mieux encore.

On ne change pas une stratégie qui gagne, car génératrice de la seule valeur ajoutée qui vaille aux States : la capitalisation boursière de Wall Street. Les milieux financiers du monde entier ne retiennent pas leur joie : les indices flambent partout, sous la perspective enivrante, pour la spéculation, de pouvoir s’abreuver durablement au torrent d’argent frais fabriqué par la FED. Peu importe que l’activité économique soit moins gaillarde qu’attendu, voire déclinante ; au contraire, c’est la garantie d’une plus longue générosité de la Banque centrale. Peu importe que l’emploi se détériore, que les salaires rétrécissent et que les déficits souverains soient incurables ; peu importe que l’appauvrissement des classes moyennes s’accélère, mettant en péril la consommation, principal moteur de la croissance, pourvu que la chaudière boursière puisse ronfler sous le carburant des liquidités fraîchement imprimées. « Il n’y a pas de bulle sur le marché des actions », a affirmé Janet Yellen, encourageant ainsi les opérateurs à une plus grande témérité. On se doit de la croire : elle est considérée comme une économiste de haut vol, ayant de surcroît épousé George Akerlof, prix Nobel d’Economie en 2001 (avec Stiglitz), pour ses travaux célèbres sur l’asymétrie d’information. Lesquels sont illustrés par la parabole de la bagnole d’occasion : le vendeur sait mieux que l’acheteur potentiel dans quel état pitoyable se trouve la vieille guimbarde. Il en résulte que l’acheteur se fait embobiner la plupart du temps. Si la théorie est cohérente, l’exemple n’est pas nécessairement bien choisi : certes, la voiture d’occasion est souvent une mauvaise affaire, mais surtout parce que l’acheteur ne connaît rien à la mécanique (le vendeur non plus, du reste). De la même façon, c’est la symétrie dans l’ignorance qui rend les marchés d’actions aussi périlleux.

Tricherie institutionnelle

Mais Janet Yellen sait de quoi elle parle. Elle a compris le grand secret qui doit permettre aux Etats-Unis de dominer le monde pour l’éternité : leur richesse s’acquiert d’abord par le butin que prélèvent les armées victorieuses. Et ce qui ne peut être conquis par les armes, il suffit de l’acquérir grâce à de la monnaie créée pour l’occasion. Efficace. Ben Bernanke l’avait publiquement avoué devant un parterre de businessmen : « quoi qu’il arrive, notre pays conservera le monopole industriel de la production de dollars ». Une roublardise rafraîchissante. Pour le reste, il suffit de ficeler les autres Etats dans des accords léonins, en exploitant la naïveté, la pleutrerie ou la vénalité de leurs dirigeants. Par exemple, la récente adhésion de la France à la loi américaine Fatca, supposée combattre l’évasion fiscale - ce qui est légitime -, mais qui permettra surtout aux States de lever l’impôt ailleurs que sur leur propre territoire. L’Empire s’arroge le droit de prélever sa dîme sur la planète entière. Autre exemple, la prochaine adhésion de l’Europe à un grand marché transatlantique, qui est la voie ouverte aux normes yankees sur le Vieux continent – comme la licéité des hormones de croissance dans l’élevage, ou du lessivage des volailles à l’eau de Javel. Ce qui revient, à terme, à légaliser l’empoisonnement collectif par les denrées alimentaires. L’objectif poursuivi a pourtant déjà été exprimé par un haut responsable américain, qui disait à-peu-près ceci : pendant que les Européens subventionneront leurs agriculteurs-paysagistes, nous leur vendrons les produits agricoles dont ils auront besoin pour se nourrir. Au moins, les intentions sont claires.

Au fur et à mesure que se développe l’obsession globalisante – quelquefois sur la base d’alibis défendables, comme la protection de l’environnement –, on constate avec effroi que le premier moteur des accords internationaux, c’est l’ambition de soumettre les faibles à la prédation des plus forts. De piller des territoires où l’herbe ne repoussera jamais, et d’échanger des trésors irremplaçables contre de la verroterie monétaire. Il en résulte que le commerce n’adoucit pas les mœurs ; mais il a institutionnalisé la fourberie. En toute impunité. Même la dernière version du jeu de Monopoly a intégré cette dérive, en supprimant la case prison. Celle qui sanctionnait auparavant la truanderie. Faut-il en conclure que cette dernière est consubstantielle au modèle dominant, et donc désormais gravée dans le marbre de la « loi du marché » ? La question est posée.

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