Le nucléaire à la Une

Le nucléaire à la Une

Dans ses applications civiles, le nucléaire suscite des réactions passionnées, légitimées par une série d’accidents majeurs. Sur le versant militaire, il est l’objet de vives tensions diplomatiques ou de prétextes à la chamaille. Voilà des années que bouillonne le chaudron iranien. Le contexte de crise générale favorise les risques de débordements.

Le nucléaire est décidément sous le feu de l’actualité. Pas seulement parce que l’avenir de son exploitation civile constitue, chez nous, un enjeu important de la campagne électorale en cours. Et que la Cour des comptes projette de publier, à la fin janvier, un rapport sur le coût réel d’exploitation de la filière. Duquel il devrait logiquement résulter ce constat : si la production d’électricité nucléaire est sensiblement meilleur marché que celle provenant des énergies renouvelables, notamment le solaire, le traitement définitif des déchets et le démantèlement des centrales obsolètes recèlent encore bien des incertitudes techniques, et donc une large approximation dans les coûts correspondants. Au final, on s’en doute, le prix du kilowatt de la filière ne doit pas être donné, sous la condition expresse que les impératifs de sécurité soient strictement respectés. Là réside, probablement, le foyer principal des inquiétudes légitimes des détracteurs du nucléaire : l’accident de Fukushima justifie toutes les suspicions quant à la mise en œuvre des coûteuses diligences prudentielles qu’impose cette industrie. On le répète ici : l’option du nucléaire civil a été un choix politique entièrement défendable, qui a permis d’échapper à une totale dépendance aux énergies fossiles. Au vu des cours actuels du pétrole et du gaz naturel, ainsi que des acrobaties diplomatiques liées à l’approvisionnement, on ne peut que s’en réjouir.

Mais s’agissant d’un choix d’essence politique, l’exploitation de la filière ne peut raisonnablement échapper à la sphère publique, qui doit (et peut) assumer le coût de sa stratégie d’indépendance nationale. Alors que la firme privée ne peut se permettre de produire à perte. Et sera donc tentée de ramener les dépenses de sécurité à un niveau compatible avec son compte de résultat. Sous cet angle de vue, la grande erreur n’a donc pas été de construire des centrales atomiques, mais de les privatiser. Du reste, au vu du rôle décisif de l’énergie dans l’économie, et des conséquences sur la collectivité qu’emportent sa production et son exploitation, il est tout simplement invraisemblable que ce secteur, autrefois public, ait été confié à la gestion privée. Rien ne peut être produit sans énergie, si bien que l’action politique se trouve réduite à peu de chose, dès lors qu’elle n’a pas de pouvoir sur ce levier décisif. De la même façon, la distribution de crédit est capitale dans le fonctionnement d’une économie ; comme on peut l’observer aujourd’hui, les décisions des prêteurs privés peuvent être contraires à l’intérêt général. Energie et crédit : ces deux thèmes ne pourront être absents d’une « refondation » du capitalisme, si telle est la voie qu’empruntent nos sociétés pour sortir de l’impasse actuelle.

Le risque d’une étincelle

Mais le nucléaire revêt également une dimension militaire. Il n’est pas douteux que la voix des pays maîtrisant cette arme porte plus loin que celle des autres : son effet dissuasif est incontestable. Ce pourquoi le Traité de non-prolifération nucléaire (Tnp), signé en 1968 par un grand nombre d’Etats, visait à stopper la diffusion de ces engins redoutables, susceptibles de détruire la planète en cas d’utilisation massive. Depuis lors, le Traité a été complété par des protocoles additionnels, ayant en particulier pour objet de soumettre ses signataires aux contrôles de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), organisme autonome sous la responsabilité de l’ONU. Le monde est ainsi divisé en trois clans : ceux qui détiennent « légalement » la bombe ; ceux qui ne l’ont pas mais n’ambitionnent pas de l’avoir ; ceux qui aimeraient bien en disposer, qu’ils soient ou non signataires du Tnp. C’est dans ce contexte que se place le psychodrame iranien, ce pays étant soupçonné de développer un programme nucléaire à des fins militaires, alors qu’il est signataire du Tnp. Les accusations les plus virulentes proviennent de son meilleur ennemi, Israël, non-signataire du Traité mais détenant probablement – et « illégalement » – un arsenal nucléaire (en l’absence de reconnaissance officielle, le fait est unanimement admis). Une situation ambiguë propre à entretenir la paranoïa dans les deux capitales, et le malaise partout ailleurs. Il n’est pas besoin de dessin pour comprendre à quel point la position de Tel Aviv serait fragilisée si Bagdad disposait de la bombinette…

Il n’est donc pas surprenant que les USA, alliés indéfectibles de l’Etat juif, exercent une pression considérable sur l’Iran, mobilisant tous ses moyens pour lui imposer des sanctions et paralyser son commerce. Sous la menace ostensible d’une intervention militaire – un deuxième porte-avions vient de s’installer dans le périmètre et les provocations s’intensifient des deux côtés. Un affrontement direct signerait l’embrasement de toute une région déjà passablement instable, où les passions n’attendent qu’une occasion propice pour se déchaîner. Mais elle donnerait aussi le signal de l’engagement de grandes puissances (Chine et Russie) qui ont déjà signifié sèchement aux Américains leur refus d’appliquer à l’Iran le régime des sanctions, et ont même convenu de régler leurs achats de pétrole à Bagdad dans leurs monnaies nationales, à la place du dollar. Pour ce même motif, Hussein en Irak et Kadhafi en Libye ont payé le prix fort. Le contexte de crise générale et la proximité des élections américaines laissent craindre que n’émerge la tentation d’une nouvelle aventure militaire. Si tel était le cas, on peut tous se mettre aux abris.

Crédit photo : Photos Libres

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