Le pacte d'irresponsabili

Le pacte d’irresponsabilité

Un pas de plus vers l’économisme comme programme politique. Puisqu’il faut de la croissance, priorité aux entreprises. Tant mieux pour elles, qui y gagnent un salutaire allègement de leurs charges. Mais qui se voient en même temps investies de la « responsabilité » du plein emploi. Un contresens porteur de désillusions.

Elle était très attendue, cette conférence de presse présidentielle. Pour de multiples raisons, pas toutes directement liées aux intérêts supérieurs du pays… En tous cas, les thèmes essentiels ont été abordés comme prévu. Pour la politique étrangère, les expéditions africaines ont été justifiées par le « devoir » d’une grande nation comme la nôtre, la seule en Europe qui aurait les moyens militaires de satisfaire ses ambitions vertueuses et de protéger ses intérêts épiciers. Selon la doctrine hollandienne, cette capacité d’intervention serait l’expression de notre souveraineté – une conception assez éloignée de la définition gaullienne, convenons-en. Mais enfin, notre Président ne se réclame pas de cette filiation, encore que certains passages de son intervention ont tutoyé avec lyrisme l’invocation de la « grandeur », ce thème qui valut au Grand Charles des sarcasmes récurrents, quoique révérencieux – en ce temps-là, la voix de la France était crainte et respectée, même si son Président indisposait quantité de ses homologues…

Quant à l’Europe, le sujet méritait quelques développements, à la veille d’un scrutin qui promet de se révéler sévère pour les factions politiques traditionnelles. Agiter l’épouvantail d’un regain de racisme et d’antisémitisme, d’un renforcement des partis « extrémistes » et d’une dieudonnisation de l’opinion, voilà un exercice un peu convenu et pas vraiment convaincant. La réalité, c’est que la représentation politique mérite largement la défiance que lui infligent les citoyens. En parallèle, pour contourner le sentiment dominant selon lequel l’Allemagne dicte la feuille de route européenne, le Président tente de convaincre l’opinion que le « couple franco-allemand » se renforce et qu’il est seul capable de conduire vers la lumière les vingt-six autres Etats-membres. Un terrain glissant, en ce moment, que celui de la cohésion du « couple », supposé tout entier investi dans la « convergence économique et sociale » des deux pays. Berlin aurait fait un pas vers le social, en instaurant le principe d’un salaire minimum. A Paris de s’engager plus avant dans le libéral, afin de converger vers le modèle « social-libéral », nouvelle dénomination du néolibéralisme où le social joue le rôle de variable d’ajustement. En témoigne l’esprit du « pacte de responsabilité », qui était le principal enjeu de la conférence présidentielle.

Le pacte botte en touche

On ne peut s’empêcher de soupirer devant les gloses et exégèses des commentateurs qui ont épilogué sur le « revirement » social-démocrate de l’Elysée. C’est se gargariser de mots vides de sens. Qu’est-ce que la social-démocratie ? C’est le socialisme qui sanctifie l’économie de marché et la propriété privée. En d’autres termes, c’est le socialisme qui apostasie le socialisme : un corps doctrinal dépourvu de colonne vertébrale. Aujourd’hui, le monde entier est régi par la social-démocratie, c’est-à-dire un libéralisme absolu tempéré par des chansons, pour paraphraser Mazarin. Il en résulte que toute politique est soumise à l’impératif catégorique de la pérennité du système dominant, laquelle passe par la crédibilité des signatures souveraines – les plus gros débiteurs de la planète. La priorité absolue consiste donc à assainir autant que possible les comptes publics par les moyens ordinaires de la gestion courante, et le recours aux « réformes structurelles » si l’ordinaire ne suffit pas.
Pour que l’Etat puisse prélever les (énormes) ressources dont il a besoin, il faut que le pays produise les richesses appropriées. Puisque ce sont les entreprises qui génèrent l’essentiel de ces richesses, il convient de les mettre en condition de prospérer. A en juger aux statistiques de l’année dernière, leur situation est fragile : 63 100 faillites sur l’exercice, c’est presque autant qu’en 2009, une année noire. Outre la morosité de la conjoncture mondiale, il est donc raisonnable d’incriminer les charges que supportent les firmes françaises, très supérieures, semble-t-il, à celles de leurs homologues européennes. Alléger ce fardeau, tel est l’objectif du « pacte » présidentiel. Il n’y a là rien d’idéologique. C’est la réponse purement mécanicienne à un constat d’évidence : pour que la poule ponde, il faut lui donner du grain.

Là où les choses se gâtent, c’est sur le terrain de la « responsabilité ». Le pacte repose sur l’exigence de contreparties à l’allègement des charges. Une exigence doublement incohérente : d’abord, parce que ces charges sont reconnues comme excessives par rapport à la norme moyenne. C’est donc faire justice aux entreprises que de les abaisser. Ensuite, parce que les firmes vont opérer une gestion rationnelle de l’amélioration de leurs marges, qui ont chuté à moins de 28% de la valeur ajoutée l’année dernière – un niveau critique. Elles vont donc commencer par se désendetter et par renforcer leur trésorerie, avant d’envisager de nouveaux investissements. Lesquels se feront principalement sur des matériels et logiciels qui se substituent au travail humain plus qu’ils n’en génèrent, selon une tendance désormais très marquée : le taux d’emploi n’évolue pas en proportion directe du PIB. En d’autres termes, le travail se raréfie. Le problème, c’est que sous le régime du capitalisme de marché, les entreprises n’ont pas la « responsabilité » sociale du plein-emploi. En exigeant d’elles cette mission impossible, le pouvoir politique se condamne à devoir céder continûment aux pressions des milieux d’affaires, sans autre contrepartie que des promesses irréalistes. En termes d’emploi, l’échec est garanti. Pire encore, il élude le débat fondamental : comment, à l’avenir, garantir le quotidien d’une part grandissante de la population, qui n’aura plus de salaire pour assurer sa subsistance ? C’est au politique que revient la responsabilité de cette réflexion.

Visuel : © buddawiggi

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