Le Parlement à la niche

Le Parlement à la niche

Les discussions budgétaires vont bientôt démarrer. C’est moins « la règle d’or » qui fera débat que les moyens de la respecter. Parvenir à l’équilibre budgétaire n’est pas un objectif inaccessible. Mais il suppose des sacrifices douloureux. Très douloureux. Ergoter sur la pertinence de certaines niches fiscales ne suffira pas à résoudre l’équation.

Au Parlement et à Bercy, les grandes vacances ont commencé. Mais les uns et les autres sont priés de ne pas oublier leurs travaux pratiques de l’été : comment ramener les finances du pays à un profil crédible aux yeux des autorités européennes et… des agences de notation. Tout en ménageant la sensibilité de l’électorat, bien sûr, car il aura à se prononcer pendant l’exécution du budget à débattre cet automne. L’équation à résoudre est d’autant plus complexe que la situation budgétaire à la fin mai (dernière connue à ce jour), ne semble pas vraiment « en ligne » avec les prévisions de la Loi de Finances. Sur son site, Bercy note que le déficit en question (68,4 milliards d’euros) s’améliore de 11,1 milliards par rapport à la même période de 2010. Or, les archives du même site font état d’un déficit de 67,9 milliards d’euros à la fin mai 2010… Bref, on en est réduit à supposer que les comptables publics ont renoncé à l’arithmétique euclidienne – ou que les chargés de communication ont un problème avec leur boulier.

Car, sans vouloir affoler le pékin, on fera observer que le déficit programmé cette année s’élève à environ 115 milliards d’euros, soit 5,7% du PIB espéré. En conséquence, il semble bien que le gouffre financier se creuse à un rythme plus rapide que celui acté par le Parlement. Et encore doit-on rajouter aux dépenses les soutiens consentis depuis lors à la Grèce (environ 15 milliards d’euros, sous une forme non précisée), plus les menus frais occasionnés par l’expédition libyenne, laquelle ne devait durer que le temps d’un pique-nique mais se poursuit allègrement au-delà du souper. Dans un tel contexte, à moins de compter sur un vigoureux rebond de la croissance (hypothèse qui relève du miracle), on est bien obligé de tenir pour improbable le respect des objectifs. Dès lors, s’il s’agit d’atteindre le stade vertueux d’un déficit à 3% du PIB dès 2013, et le retour à l’équilibre budgétaire dans la foulée, ce n’est pas le rabot qu’il va falloir utiliser. Mais plutôt la scie tronçonneuse…

Vers une fiscalité de guerre ?

Sur la base du budget en cours d’exécution, quel effort devrait consentir le pays pour revenir à l’équilibre l’année suivante, et ainsi pouvoir stabiliser sa dette avant de l’amortir patiemment ? Considérons qu’il soit possible d’abaisser de 5% le niveau des dépenses publiques (un objectif cohérent avec les engagements déjà pris… sur plusieurs années). Il faudrait alors augmenter les recettes de 34%. C’est énorme, bien sûr. Mais les prélèvements qui en résulteraient ne seraient pas pour autant extravagants… à l’aune de l’Histoire : 55% pour la plus haute tranche de l’impôt sur le revenu, on a déjà vu bien pire ; 26% pour la TVA, c’est à peine au-dessus du taux maximal (25%) fixé par les normes communautaires ; 44% pour l’Impôt sur les sociétés serait loin des records antérieurs, mais loin également des pratiques contemporaines, soumises au laminoir de la concurrence fiscale. Cependant, comme tous les Etats du monde sont confrontés à des difficultés identiques, il ne devrait pas être trop difficile de s’accorder sur un taux de taxation minimal du profit des firmes, afin de décourager le nomadisme fiscal. L’épreuve d’un retour à l’équilibre, chez nous, n’est donc pas insurmontable. D’autant moins que les années récentes ont démontré que, face à une conjoncture extrême, les Etats n’ont pas hésité à engager des moyens extrêmes, dont il faut bien aujourd’hui assumer les conséquences... extrêmes. Convenons-en, un tel schéma correspond à une esquisse grossière : mais il donne l’ordre de grandeur des sacrifices qui seront inévitablement demandés aux populations, sauf évidemment si un grand chambardement vient entretemps bouleverser la donne – avec un défaut généralisé sur les dettes souveraines et la transformation en assignats des créances correspondantes. Une évidence tend – tardivement – à s’imposer : dans un Etat doté d’une fiscalité « moderne », la cote d’alerte en matière d’endettement s’établit au-delà de 85% du PIB. A partir de ce seuil, il devient mécaniquement très difficile de stabiliser la dette.

Dans le cas de la France, l’essentiel des propositions d’assainissement tourne autour de la question des niches fiscales. Avec un flou artistique dans l’estimation du manque à gagner qui en résulte (220 milliards d’euros, selon un rapport sénatorial), vu que personne n’est d’accord sur la définition d’une niche. Proposons la nôtre : tout dispositif dérogatoire ayant pour effet de minorer la contribution du redevable. Sur cette base, on dénombre un peu plus de 500 niches (fiscales et sociales)… Lorsqu’une règle nécessite que lui soient opposées 500 exceptions, ce ne sont pas ces dernières qu’il faut évaluer. C’est la règle qu’il faut changer. Les débats à venir promettent de se focaliser sur le maintien, la suppression ou l’amendement de telle ou telle dérogation. Avec chaque fois pour enjeu quelques modestes picaillons, dont l’économie ne fera qu’écorner la montagne de déficits. Apparemment, notre système fiscal est en phase avec notre organisation sociale : on a bâti un château rococo tellement complexe, et tellement fragile, qu’il suffit de déplacer un meuble pour mettre en péril l’édifice tout entier. On va bientôt avoir besoin de bons architectes…

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