Le patrimoine stressé

Le patrimoine stressé

Les incertitudes des temps présents laissent augurer des lendemains douloureux pour le patrimoine privé. Car des valeurs réputées non spéculatives pourraient bien se retrouver lessivées. Ce qui explique le renchérissement spectaculaire de certains actifs réels. Alors que d’autres sont étonnamment négligés, comme la forêt.

« La ligne de la France a toujours été le refus de la restructuration de la dette grecque et nous ne dévions pas de cette ligne, quelles que soient les modalités proposées » : telle est la position officielle de notre pays, puisqu’émanant du porte-parole du gouvernement lui-même. Il est donc conseillé d’éviter Athènes pour les prochaines vacances : nous autres Français risquons de n’y être pas très bien reçus… Cette « ligne », que l’on devrait plutôt qualifier de posture, donne une image assez fidèle de ce qu’est devenue la stratégie systématique de la France dans les négociations internationales : forte avec les faibles, faible avec les forts. Face aux faibles, il en résulte une regrettable confusion entre fermeté et obstination, entre intransigeance et caprice ; face aux forts, tout repli s’apparente à une reddition sans conditions. Au cas d’espèce, refuser la restructuration aux Grecs est aussi approprié que d’interdire à la pluie de tomber lors d’un orage. A ce stade, un simple rééchelonnement de la dette – la moins douloureuse des « restructurations »– serait ridiculement inopérant, quand bien même les échéances seraient-elles reportées aux calendes grecques.

Les concours déjà accordés par l’Union européenne, ou susceptibles d’être prochainement consentis, s’accompagnent de l’obligation pour Athènes de sacrifier ses bijoux de famille et de jeuner ad vitam, sans espoir de jamais amortir ses dettes. Du reste, les plus récentes statistiques confirment la « clochardisation » du pays : la production industrielle a chuté de 11% en avril (après un repli de 8% en mars) ; le taux de chômage s’élève désormais à 16,2%, soit 40% de plus qu’il y a un an. Ce n’est pas un hasard si les manifestations de rue sont aussi nombreuses, pas un hasard non plus si elles sont de plus en plus violentes. Le mouvement de menton de la France ne suffira pas à rétablir une situation viable en Grèce : la restructuration est absolument inévitable et elle devra se réaliser sur des bases douloureuses pour les créanciers (avec un haircut de 50% à 70% sur les créances), pour que le pays ait une chance de s’en sortir. Ce qui constituerait alors un exemple à suivre pour les autres Etats dans la mouise et un motif d’infarctus pour les banques (françaises et allemandes, principalement) qui se sont gavées de ce papier. Pour les compagnies d’assurance également, qui n’ont probablement pas résisté à la promesse de rendements supersoniques. Si bien que les Français, qui détiennent plus de la moitié de leur épargne financière dans l’assurance-vie, pourraient par la même occasion se réveiller avec une méchante gueule de bois.

La fortune en bois ?

Où peut-on aujourd’hui garer son argent pour le mettre à l’abri des multiples accidents auxquels il est exposé ? Nul ne peut préjuger des moyens qui seront employés pour faire face à la situation de faillite qui se profile pour de nombreux Etats, les plus fragiles entraînant les autres dans leur déroute. On ne peut exclure que la BCE soit contrainte d’emboîter le pas à la FED et à la Banque d’Angleterre, en monétisant la dette publique par brassées entières. Ce qui aurait pour effet d’accélérer le dépérissement des monnaies déjà à l’œuvre et de booster la hausse des prix jusqu’à des niveaux insoutenables. Quelle que soit la stratégie qui sera finalement retenue, il est hautement improbable qu’elle permette le rétablissement du système. Les incertitudes actuelles ne résident pas vraiment sur la question de savoir si l’implosion se produira, mais plutôt d’estimer quand elle aura lieu. Et là, le pronostic est délicat : ce peut être n’importe quand. Mais pas dans une éternité. Dans tous les cas, les supports financiers, et tout particulièrement les créances, sont promis à la bérézina. Dans un contexte où les monnaies perdent toute crédibilité, la seule sauvegarde réside dans les actifs réels. On a déjà largement évoqué, dans ces colonnes, les motifs rationnels qui poussent à la hausse vertigineuse le prix de l’immobilier des grandes métropoles : quelles que soient les péripéties futures de ce marché, il sera préférable de détenir des immeubles que des obligations d’Etat. Même chose avec les métaux précieux, qui naviguent aujourd’hui à des sommets historiques mais n’ont probablement pas fini d’exciter la convoitise des investisseurs.

Un seul domaine semble encore, en France, avoir échappé à la vigilance des épargnants précautionneux : la forêt. Selon les statistiques les plus récentes, 100 mètres carrés de plancher parisien équivalent à 200 hectares de forêt (au prix moyen constaté l’année dernière). La disproportion est étonnante en des temps où le bois est reconnu comme une matière première renouvelable aux usages multiples – comme matériau de base ou comme source d’énergie. En dépit d’incitations louables, l’exploitation du potentiel forestier n’en est encore qu’à ses balbutiements. On peut raisonnablement présager que les énormes ressources de la forêt ne resteront pas indéfiniment en friche, sous la pression conjuguée de la raréfaction des énergies fossiles et de la montée en puissance des préoccupations écologiques. Accessoirement, l’heureux propriétaire d’une forêt peut doter de glands son élevage, de champignons sa famille et de marrons glacés ses amis. Sans compter les produits de la chasse. La forêt, en somme, c’est une vraie richesse : inusable.

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