Les autocars Macron (...)

Les autocars Macron bouleversent la manière de voyager

Autorisées depuis le 7 août à proposer des voyages longs mais à prix réduit, les compagnies d’autocar vont modifier les habitudes de voyage, mais pourraient aussi renouveler l’aménagement des villes.

« Les bagages dans la soute, et vous payez le billet dans le car ».
La voix de l’agent qui officie dans la gare routière n’est pas spécialement aimable. Une fois qu’il a choisi sa place et bouclé sa ceinture de sécurité, obligatoire dans tous les autocars de l’Union européenne, le voyageur ne peut espérer jouir d’un moment de quiétude. Le chauffeur écoute la radio, et par conséquent les passagers aussi. Malgré une annonce enregistrée demandant d’« utiliser les portables avec discrétion et modération », les sonneries se font entendre les unes après les autres, tout comme les conversations téléphoniques. Dans l’air climatisé flottent de vagues effluves de hamburger-frites, ou de cendrier.
Voilà à quoi ressemble, aujourd’hui, à quelques détails près, un voyage en car dans l’Hexagone.

Mais tout cela est en train de changer, paraît-il.

Grâce aux autocars « Macron », comme on nomme déjà les véhicules circulant sur les lignes ouvertes suite à la libéralisation voulue par le ministre de l’Economie. Ces bus sont spacieux et confortables, affirment la demi-douzaine de compagnies qui, avant même la promulgation du texte, le 7 août, ont investi ce marché. Jusqu’à présent, seules deux sociétés se partageaient le marché français : Eurolines, opérateur « historique », filiale du leader du transport Transdev, et IDbus, créée par la SNCF au moment où celle-ci a senti le vent tourner, en 2012. La première a créé pour l’occasion Isilines, histoire de se démarquer de la pionnière du secteur. La seconde, qui entend conserver sa part du marché, a acheté 80 bus flambant neufs.

Deux compagnies européennes, la britannique Megabus et l’allemande Flixbus, proposent également leurs services tout comme Starshipper, marque commerciale de plusieurs PME du secteur. Tous ces opérateurs promettent des véhicules le moins polluant possible, des fauteuils inclinables, de l’espace pour les jambes, une connexion Wifi à bord, des prises électriques, des journaux ou encore des places réservées aux fauteuils roulants. Les billets sont achetés en ligne.

La fin d’une législation compliquée

Pour Emmanuel Macron, le secteur du transport par autocar doit créer « 2 000 à 3 000 emplois directs ». Le ministre de l’Economie s’est rendu, le 31 juillet, à la gare routière Galliéni, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), pour célébrer l’événement. Le Premier ministre Manuel Valls s’est, lui aussi, fait photographier dans un autocar, tout sourire.
La libéralisation introduite par la loi met fin à une législation compliquée obligeant les sociétés d’autocars à pratiquer le « cabotage ». Ce terme, issu de la navigation maritime et transposé à la circulation des marchandises, désigne le fait de profiter d’un trajet international pour transporter des passagers pour un déplacement à l’intérieur des frontières. En clair, seules les compagnies effectuant le parcours Lyon-Barcelone ou Bruxelles-Paris pouvaient proposer des voyages entre Lyon et Montpellier ou entre Lille et Paris. Les trajets domestiques pouvaient aussi être effectués à condition de conclure un accord avec une collectivité locale.

Le pari du ministre, il l’a répété à plusieurs reprises durant les débats autour du texte, est d’augmenter le nombre des voyageurs, et donc de générer une économie nouvelle. Pour les « pauvres », comme dit Emmanuel Macron, le prix du voyage doit constituer le principal attrait. De fait, dès cet été, les compagnies de car proposaient des allers Lyon-Marseille ou Brest-Nantes à partir de 5 euros. L’autocar permet en outre de desservir des destinations que le chemin de fer ignore ou néglige. Le trajet Lyon-Bordeaux, ligne transversale s’il en est, est souvent cité en exemple.

Prix, vitesse, sociabilité : à chacun son voyage

Mais il ne faudrait pas oublier trop vite que le prix ne constitue pas le seul critère de choix quand on se déplace. La vitesse demeure un argument massif de la SNCF, forte de son réseau à grande vitesse. En autocar, Paris-Strasbourg réclame entre 6h30 et 8h30 de trajet, contre un peu plus de 2 heures en train… Le confort est également primordial. Pas seulement l’espace et le revêtement du fauteuil, mais aussi la capacité à optimiser son temps de trajet. Or, si le train offre à la fois la possibilité de travailler, dormir, lire, écouter de la musique, regarder un film ou boire un verre au bar, rien de tout cela n’est vraiment garanti dans un bus, quel que soit le discours des autocaristes. Enfin, le voyage demeure pour certains l’occasion de socialiser. Comme dans les trains d’antan, lorsqu’on commençait par échanger quelques banalités d’ordre météorologique avant, au fil du trajet, de confier des secrets de famille… C’est aujourd’hui dans les voitures que se forment ces échanges. Blablacar porte, dans son nom même, ce besoin de sociabilité. Certains conducteurs confient même qu’ils pratiquent le covoiturage dans le seul objectif de rencontrer des gens.

Si les autocars Macron semblent remporter la faveur du public, les transporteurs et les passagers regrettent en revanche l’état déplorable des gares routières. Situées, au contraire des gares ferroviaires, dans des quartiers délaissés ou mal desservis, peu équipées en services et parfois dépourvues de sièges, les gares routières constituent, selon un sentiment largement partagé, le « point noir » du dispositif. Mais le problème dépasse de loin le simple souci de l’absence de kiosque à journaux, des toilettes sales et du mauvais café. Ni complètement centrales, ni totalement périphériques, les gares routières doivent rester accessibles aux autocars, par définition. Or, à l’entrée des villes, pas seulement des métropoles, se forment souvent des bouchons. Les voyageurs ne seront pas toujours prêts à un trajet aléatoire, quatre heures au lieu de trois pour 200 kilomètres, dont une heure à stationner sur une autoroute, au pas.

Où sont les gares ?

Si les autocaristes remportent le succès escompté, la question de l’emplacement de leurs gares va donc se poser assez vite. Une possibilité consiste à les aménager à l’extérieur, reliées au centre par un transport lourd, train, métro ou tramway, mais l’afflux des voyageurs risque de peser sur les réseaux locaux. Une autre solution serait de créer des voies réservées aux cars, et par la même occasion aux taxis et covoitureurs, sur les derniers kilomètres des autoroutes qui mènent aux villes. Ce n’est pas une utopie : la navette routière qui relie Aix-en-Provence à Marseille dispose de sa voie dédiée sur l’autoroute A51. En Ile-de-France, sur l’autoroute A1, les bus, taxis et voitures de tourisme avec chauffeur devraient bénéficier bientôt du même aménagement, décidé en avril par le ministère des Transports.

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