Les martingales de (...)

Les martingales de la croissance

La France vient de ramener ses prétentions de croissance à celles pronostiquées par la Commission européenne. Lesquelles sont au mieux égales, et souvent supérieures, à celles de la plupart des prévisionnistes. Mais sur le terrain, les entreprises se montrent beaucoup plus pessimistes pour leur avenir.

L’Europe manque peut-être de souffle, de cohésion, d’ambition et de pétrole. Mais pas d’organismes de prévision. Il est vrai que l’exercice n’est pas aisé et mérite de susciter des vocations. Pour autant, la plupart des grands instituts publient des perspectives assez voisines. Ce qui est finalement assez cohérent, vu que tous utilisent peu ou prou le même type de modèles économétriques, qui sont essentiellement des machines à projeter les tendances historiques. Sauf peut-être les cellules gouvernementales dédiées à la prévision, qui manifestent une nette propension à surinterpréter les espérances ministérielles, et qui de ce fait se révèlent régulièrement optimistes, voire hallucinatoires – le temps de voter le budget. Au-delà de cette date fatidique, il faut bien retourner dans le monde réel, celui dans lequel les citrouilles ne se transforment jamais en carrosse. Tel a été le cas chez nous, une fois encore : le gouvernement a été contraint d’admettre que la performance à attendre, sur l’exercice en cours, serait plus proche des attentes de la Commission européenne que des prévisions de Bercy. A savoir que la croissance sera de nouveau en berne cette année, avec une médiocre perspective de 0,1% de hausse du PIB. Fasse le ciel que cet objectif soit atteint : l’examen de la conjoncture présente laisse plutôt augurer des lendemains plus sombres, dès lors que l’horizon n’est toujours pas dégagé.

Il est toutefois permis de penser que les autorités accordent, aux prévisions officielles, beaucoup moins d’importance que les commentateurs. Il est en tout cas avéré qu’elles n’agissent pas nécessairement en conformité avec les résultats chèrement obtenus par leurs propres services. La Commission, par exemple, avait établi, en février dernier, sa prévision de croissance pour la France. Et avait conclu que l’objectif de ramener cette année le déficit à 3% du PIB était illusoire. Ce que notre pays a fini par admettre, en fixant la barre à 3,7%. La Commission avait ajouté, dans la foulée, que la croissance attendue en 2014 (1,2%) serait insuffisante pour corriger la tendance, et que le déficit s’établirait ainsi, cette même année, à 3,9%. Sauf nouvelles mesures d’austérité, auxquelles le gouvernement continue d’affirmer ne pas vouloir recourir. Pourtant, le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, s’est déjà déclaré favorable à un report à 2014 de l’objectif français d’un déficit inférieur à 3%. Certes, la question ne sera débattue qu’en mai, après actualisation des prévisions et présentation de notre « programme de stabilité ». Mais il est tout de même curieux qu’un commissaire européen puisse valider un engagement que ses propres services de prévision déclarent strictement impossible à atteindre. En foi de quoi nos brillants économistes sont considérés comme les haruspices de l’Antiquité romaine : on écoute religieusement leurs prédictions et si elles dérangent, on les oublie.

Prévision et observation

Puisque nos contemporains ont renoncé à lire l’avenir dans les entrailles de poulet, concentrons-nous sur les résultats issus des entrailles d’ordinateur – et de l’analyse de ceux qui les nourrissent. Le BIPE vient de livrer ses dernières anticipations, qui méritent une attention particulière : l’organisme est principalement consulté par le monde du business, qui est moins sensible que les gouvernements au son du violon. En phase avec ses homologues, le BIPE pronostique un retour de la croissance, ferme dans les pays émergents (loin toutefois des performances historiques), modérée et progressive dans les pays développés, sauf… en Europe, minée par l’austérité générale. Cette dernière est toutefois supposée sortir de la récession en milieu d’année grâce à la reprise partout ailleurs, tout en s’exposant à une performance globale négative en 2013 (-0,3%, en phase avec les attentes de la Commission) et un résultat poussif en 2014 (+1%, la Commission anticipant 1,4%). Mais la France serait engagée dans une « longue stagnation ». Avec une bonne résistance de la consommation, malgré la baisse du pouvoir d’achat et l’augmentation du chômage, insuffisante toutefois pour tirer la croissance. Alors que les prévisions d’investissement ont été revues à la baisse ; tout au plus les analystes envisagent-ils un sursaut en fin d’année. Au final, la performance du pays se solderait par un recul en 2013 (-0,1%) et un modeste rebond en 2014 (+0,7%). Loin, voire très loin, tant des prévisions de la Commission que de celles du gouvernement français.

Les attentes du BIPE ont pourtant plus de chances de se révéler pertinentes, si on les croise avec le dernier indice PMI dans l’ensemble du secteur privé en mars : il a atteint son plus bas niveau depuis quatre ans, témoignant à la fois d’une forte baisse de l’activité et des appréhensions des milieux d’affaires. Car le PMI (Purchasing Managers Index, Indice des directeurs d’achats) reflète non seulement l’activité en cours, mais aussi celle qui est anticipée au travers du carnet de commandes – l’indicateur le plus sûr de la croissance future. Sachant que pour l’index en cause, l’horizon se situe à une échéance de douze mois, il y a matière à se montrer plus circonspect que tous les organismes de prévision, y compris le BIPE qui n’est pourtant pas le plus complaisant. Car sur l’année à venir, il est peu probable qu’une solution définitive soit apportée au seul vrai problème des temps présents : le surendettement souverain. Qui soumet les agents économiques à la rapacité publique et à la pingrerie des banques – focalisées sur leur propre quête de fonds propres. Le bout du tunnel, ce n’est pas pour demain…

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