Les morts auraient-ils

Les morts auraient-ils le monopole du cœur ?

Comme après chaque décès de célébrités, un chœur de pleureuses a donné de la voix pour saluer la mémoire du président Valéry Giscard d’Estaing, enlevé à l’affection des siens par cette cochonnerie de Covid dont on le croyait pourtant à l’abri dans son château du Loir et Cher. "Un homme simple et accessible" répétait à l’envi devant les caméras de télé les habitants d’Authon, 700 âmes, ses champs, ses forêts et ses chasseurs, dont le défunt, réputé fine gâchette. Et avec eux, les politiques à l’unisson, dont on devinait pourtant que certains n’en pensaient pas moins. Parce que, malgré ses efforts pour se mélanger à sa "France profonde", il n’a jamais tout à fait réussi à se départir d’une attitude ressentie comme hautaine.
Passée l’émotion, on doit à la vérité de dire qu’il ne fut pas toujours aimé pendant sa présidence, et pas seulement par Jacques Chirac, qui s’est appliqué avec une ténacité de paysan correzien à lui savonner la planche.

Une presse majoritairement hostile. Des Gaullistes revenchards, cocufiés par cet X-énarque-inspecteur des Finances sûr de sa propre valeur, à l’esprit vif et à l’historique irréprochable (lycéen à Louis le Grand, il participa à la libération de Paris, s’enrôla dans la 1ère Armée française du général de Lattre de Tassigny et partit combattre en Allemagne, Croix de guerre). Une gauche mordante. Il n’en fallut pas davantage pour installer VGE pendant son septennat sur un siège sinon éjectable, du moins inconfortable.
Les crises pétrolières, le chômage de masse, l’usure du temps et ce que l’on a appelé "les affaires" (Boulin, les diamants, les avions renifleurs) ont fait le reste. Les Français ne lui ont pas renouvelé leur bail en 1981. Ils lui ont préféré celui qui réussit la quadrature du cercle, à savoir réunir sur son nom toute la gauche, depuis les timides radicaux de Robert Fabre jusqu’au tonitruant Georges Marchais.

En face de lui s’est dressé François Mitterand, personnage aussi brillant que matois. L’homme de Jarnac a d’autant plus réussi à emberlificoter VGE dans sa toile piégeuse que la droite gaulliste lui a fait défaut, empêchant le président de poursuivre ses réformes sociétales, économiques et politiques.
La fin de règne fut crépusculaire. Le sable s’est dérobé sous ses mocassins : on a découvert un passé odieux à Maurice Papon, son ministre des
Finances, on a ironisé sur son amitié avec Jean-Bedel Bokassa, "empereur" de Centrafrique, mais surtout tyran notoire...
Giscard a quitté l’Élysée sous les sifflets. C’était immérité et indigne. Car il fut, n’en déplaise, un grand président, dont l’action moderniste qui bouscula les vieux conservatismes de notre monarchie républicaine, restera gravée pour longtemps dans notre époque.
À l’heure où il a trouvé le repos éternel, on a envie avec Brassens d’entonner la chanson "le temps qui passe". Le Sétois moustachu nous rappelle qu’il est "toujours joli, le temps passé, une fois qu’ils ont cassé leur pipe-i-pe (...) les morts sont tous de braves types"". Cela s’applique à merveille à celui qui regardait "la France au fond des yeux".

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