Les notaires dans la mire

Notre pays dispose d’un notariat performant, qui sert de modèle à bien d’autres États. Seulement voilà : selon les critères des temps présents, il est trop connoté Ancien Régime. Il échappe aux lois de la concurrence et délivrerait des rentes aux professionnels. Un vent de réforme se lève dans les sphères gouvernementales...

Voilà qui est fait. La chasse est déclarée ouverte maintenant que l’Inspection Générale des Finances (IGF) vient d’ajouter son rapport aux multiples avis, commentaires et recommandations qui ont fleuri sur le sujet : les professions réglementées. Monstrueux obstacles à la divine concurrence, horribles vestiges de l’Ancien Régime, dispensatrices de rentes antidémocratiques, freins à l’innovation, facteurs de vie chère - et l’on en passe : avec un tel pédigrée, lesdites professions ne pouvaient qu’être acculées à la réforme, voire à la guillotine. Il faut dire qu’en période de basses eaux conjoncturelles, certaines corporations font d’excellents boucs émissaires : les taxis parisiens, par exemple, réputés pour leur caractère aussi rance que leurs aisselles, ont un bon profil pour le lancer collectif de tomates. Encore qu’il ne faille pas trop leur chatouiller les arpions, vu qu’ils sont capables de paralyser la Capitale en moins de temps qu’il vous faut pour aller de Concorde à Étoile. Mais il faut bien reconnaître que le service de voiturage, offert dans les rues de Paris, souffre de nombreuses faiblesses et que le dispositif actuel mériterait quelques aménagements. Mais évidemment, la réforme du principe de la licence relève de la haute voltige. Car les
professionnels ont acquis (chèrement) leur « fonds de commerce » et entendent légitimement le revendre à la cessation d’activité. Indemniser chaque taxi du prix de sa licence représente une grosse pelote, qu’aucune collectivité n’est en mesure de prendre en charge. Peut-être faudra-t-il attendre l’invention de la téléportation pour que notre pays mette fin à la rente sacrilège des taxis, qui représenterait, selon le ministre de l’Economie, une partie de ces « 6 milliards » que les professions réglementées « confisqueraient » aux ménages français.

Sus à la rente

Il faut donc supposer qu’une large battue va être organisée pour débusquer la rente parasite. Et les premiers dans le collimateur pourraient bien être les notaires, pointés d’un doigt vengeur dans le dernier rapport de l’IGF. Voilà le problème : la profession tire à peu près la moitié de ses revenus de l’activité immobilière, c’est-à-dire, pour une large part, des honoraires perçus sur les actes de cession d’immeubles. Chacun sait que les « frais de notaire », dans une transaction sur l’ancien, représentent de 8 à 9% du prix de vente. Ce n’est pas rien, en effet, et nos intraitables auditeurs publics ont raison de souligner le poids de ces « frais » dans le budget des ménages. Sauf que, au cas d ’espèce, les frais en cause résultent, pour l’essentiel, de prélèvements des différentes collectivités concernées de près ou de loin par la transaction. Selon l’évaluation des notaires eux-mêmes, les honoraires leur revenant représentent en moyenne 1,33% du prix de vente, soit moins de 15 % des coûts de la transaction. Certes, le barème est proportionnel : plus le prix de vente est élevé, plus les honoraires le sont, sans rapport direct avec la technicité de l’acte. Mais c’est exactement le même scénario avec les différentes taxes, qui ne font appel à aucune technicité particulière pour leur prélèvement.

De fait, les arguments de l’IGF sont plutôt tirés par les cheveux. Apparemment, s’il faut rendre un peu de pouvoir d’achat aux ménages dans leurs acquisitions immobilières, en piochant dans la poche des notaires, c’est que ces derniers sont réputés opulents (ce qui est synonyme de « rentiers »). En effet, selon les statistiques de 2012, le revenu médian s’établit à environ 150 000 euros (niveau approximatif du revenu moyen de la profession). Convenons-en, les notaires ne sont pas à la rue et l’on doit se réjouir de leur aisance : que dirait-on d’un pays dont les officiers ministériels seraient dans la gêne ? Mais il faut ici nuancer les statistiques. Le revenu médian, d’abord : Il témoigne du fait que la moitié de l’effectif gagne très bien sa vie, mais ne renseigne pas vraiment sur le sort de la moitié basse. Il ne fait aucun doute que certaines études rurales affichent des chiffres modestes par rapport à leur homologues urbaines ( faute de transactions immobilières assez nombreuses) ; selon le Conseil supérieur du notariat (CSN), 10% d’entre elles seraient même en déficit depuis le début de l’année. La thèse de la rente ne paraît donc pas très solide.

Ce qui est solide, apparemment, c’est la volonté de rogner le revenu du tabellion. Avec des arguments épiciers : une étude dégage une marge s’étageant entre 35 et 45%. Une belle performance, sans aucun doute, qui témoigne de la compétitivité des offices, pour la plus grande satisfaction de Louis Gallois. Mais pour l’IGF, ces marges sont trop grasses : en écornant les honoraires de 20%, la marge moyenne serait divisée par deux mais demeurerait à un niveau confortable, comparativement aux autres activités de services juridiques. Le seul problème, c’est que pour accorder un chouïa de pouvoir d’achat aux acheteurs immobiliers (un rabais de moins de 3% sur leurs frais), il faudrait déstabiliser une profession tout entière et introduire des risques financiers importants dans des organisations qui requièrent une gestion sereine. Et le fait de recommander la fin du numerus clausus n’est sans doute pas, non plus, une très bonne idée. On ne comprend pas, d’ailleurs, que cet argument puisse être avancé pour justifier la baisse des prix. Car c’est la Chancellerie qui fixe le « tarif » des notaires. Pas la concurrence.

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