Les retraites au régime

Les retraites au régime

Bien que sa maladie ait depuis longtemps été diagnostiquée, le système des retraites n’a fait l’objet que d’une série de prescriptions homéopathiques. En conséquence, il est maintenant promis à la chirurgie lourde. Mais son principe de financement portait en lui les gènes d’une dégénérescence programmée.

Avec tout ce qui a été écrit sur la retraite depuis un demi-siècle, on pourrait emplir les étagères de la Bibliothèque nationale. Encore que la comparaison soit oiseuse : la BN compte des lecteurs réguliers pour la plupart des ouvrages entreposés. Alors que les études sur la retraite n’intéressent que le microcosme de la spécialité et ceux qui sont commis à la rédaction d’un nouveau rapport sur le sujet. Telle Yannick Moreau, ci-devant présidente du Conseil d’orientation des retraites (COR), chargée de piloter une commission d’experts en vue de la réforme du système. Lequel fait l’objet d’aménagements réguliers depuis des lustres, afin de corriger la dérive récurrente de ses finances et la menace d’un gouffre abyssal à échéance de quelques années.

Les paramètres qui fragilisent le système par répartition ont depuis longtemps été identifiés. L’entrée tardive sur le marché du travail, consécutive à un allongement des études, tend à raccourcir les carrières ; l’accroissement constant de la longévité contribue à augmenter considérablement le service des pensions ; les aléas de la conjoncture, avec de longues périodes de basses-eaux, laminent les recettes nécessaires au paiement des retraites. Or, aucune de ces tendances n’est susceptible de s’inverser à échéance prévisible. Il en résulte que, dans sa forme actuelle, le système est condamné à cibler son équilibre par les moyens immémoriaux de la gestion courante : augmenter les recettes et réduire les dépenses. D’accord, ce n’est pas très original, mais l’ingénierie comptable ne peut pas vraiment apporter de solution plus créative au problème. Le rapport Moreau n’est pas encore publié au moment de la rédaction de ces lignes. Mais ses grandes lignes ont déjà été dévoilées, délibérément, afin de préparer l’opinion à l’éventail des possibilités, toutes désagréables, qui s’offrent au législateur pour équilibrer la répartition. Le message est passé : tout le monde devrait être concerné.

Le système ébranlé

Le chipotage sur l’âge légal de départ en retraite n’est qu’un aspect finalement secondaire, même s’il focalise les crispations. D’abord parce qu’il faut être pétri de mauvaise foi pour refuser le principe d’un départ plus tardif, en phase avec l’évolution de la longévité. Ensuite, parce que la durée effective de la carrière demeurera déterminante pour la fixation d’une pension « à taux plein », et la tardiveté généralisée de l’entrée dans la vie active constitue un frein mécanique à la retraite précoce - c’est-à-dire autour de 60 ans. En revanche, c’est le niveau de la pension attribuée qui promet d’être le premier thème de réforme pour le législateur. Notamment dans la catégorie des fonctionnaires, dont les droits sont actuellement calculés sur la base des six derniers mois de traitement – contre les 25 meilleures années dans le privé. Le rapport proposerait ainsi d’allonger la période de référence, en contrepartie de l’intégration d’une fraction (modeste) des primes et indemnités, aujourd’hui presque totalement écartées. Les syndicats ont déjà fait le calcul dont le résultat est facile à deviner : les pensions seraient sensiblement minorées. Un beau sujet de guerre, puisqu’attentatoire au « maintien des avantages acquis », pierre angulaire de la doctrine syndicale. Par ailleurs, les pistes classiques sont reprises dans le rapport : nouveau report de l’âge légal, nouvel accroissement de la carrière et désindexation des pensions et/ou des salaires de référence (comme c’est déjà le cas pour les régimes complémentaires, où les droits ne portent que sur 95% du salaire cotisé).

Sur le plan des recettes, plusieurs pistes sont proposées : une hausse de la CSG sur les pensions (actuellement assujetties à un taux réduit), la suppression des 10% d’abattement fiscal et l’imposition de la majoration de 10% accordée aux retraités ayant élevé au moins trois enfants, aujourd’hui exonérée. Autant de « faveurs » qui se justifient moins par la justice fiscale que par des considérations électoralistes. Enfin, bien entendu, la hausse des cotisations – une option qui fait logiquement hurler les syndicats patronaux, en quête de compétitivité sur le coût du travail.

Bref, ces différentes suggestions ont toutes pour effet de rogner les revenus (salaires, pensions, profits), conséquence incontournable de la réduction de voilure. Et donc pour effet de n’épargner personne, sans que la stabilité du système soit pour autant garantie dans le temps. Car l’édifice repose sur la croissance perpétuelle : dans la répartition comme dans la capitalisation, les pensions sont prélevées sur la production du moment. Sachant que l’Etat et les collectivités sont contraints aux restrictions de personnel par orthodoxie budgétaire, que les entreprises dégraissent, ou écrasent les rémunérations, conformément aux normes internationales de productivité, il en résulte que la masse salariale – principale ressource des caisses de retraite – stagne ou s’étiole, pendant que la population de retraités ne cesse d’augmenter. Si bien que la cohérence du système tout entier est sérieusement ébranlée. Un constat qui amène de nouveau à s’interroger sur le bien fondé d’une relation obligatoire entre revenu (salaire ou pension) et activité. Peu suspects de léninisme militant, les Suisses vont soumettre à votation un projet directement inspiré du révolutionnaire Thomas Paine : le service d’un Revenu de base inconditionnel à tout citoyen majeur – 2 500 francs par mois, soit 2 000 euros, un montant supérieur au salaire moyen en France… Une autre façon de mettre en cause l’inégalité grandissante dans la distribution des revenus. Ou, en d’autres termes, de contester la pertinence du système économique dominant. Il y a de l’hérésie dans l’air…

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