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Lisbonne-Helsinki : 0-0

Après les Islandais qui refusent de cautionner leurs banques faillies, les Finlandais renâclent devant la facture de la solidarité européenne. Compromettant le plan d’urgence au profit du Portugal, qui se négocie dans la fièvre. Et les députés allemands sont gagnés par les préventions finlandaises : les temps à venir vont être électriques…

C’est bien connu : les Finlandais adorent la nature et détestent le bruit. Pourtant, le pays produit un ratio surprenant de pilotes automobiles de compétition, une discipline sportive qui ne brille ni par le silence ni par sa dimension écologique. Pourtant, le pays abrite le premier fabricant mondial de téléphones mobiles, ces joujoux indispensables qui sont un fléau pour l’intimité. Mais les Finlandais sont tout d’une pièce, comme ces confiseries que nous vante la publicité : tendres à l’intérieur et coriaces à l’extérieur. Ce sont eux qui ont donné lieu à un néologisme qui a depuis fait florès : la finlandisation. Un art délicat consistant à préserver sa souveraineté face à un voisin très puissant, sans aliéner ses particularités culturelles. Chapeau. Le Finlandais développe donc une indépendance d’esprit ombrageuse qui ne le rend pas nécessairement guilleret, si l’on en juge au contenu de la production cinématographique nationale : face aux films finnois, les œuvres d’Eisenstein passent pour des comédies légères.

Mais ce côté chatouilleux les prédispose peut-être à la paranoïa et aux contradictions. Pour preuve, le dernier scrutin a considérablement dopé l’audience du parti des « Vrais Finlandais », une faction tapageusement nationaliste et ouvertement xénophobe. Ce qui est d’autant plus surprenant que le taux d’immigrés est en Finlande ridiculement faible, bien que l’offre de l’Etat-providence soit attrayante : éducation et santé sont gratuites et figurent sur la première marche du podium européen. Helsinki dispose en outre d’un environnement culturel généreux sous un charme provincial indéniable ; le climat y est plutôt tempéré, la sécurité satisfaisante et le taux de suicides – naguère exceptionnellement élevé – tend à régresser : les autochtones finissent donc par s’habituer à leur morne « finlandité ». Et pour ce qui est du bruit, ils ont désormais décidé de s’y habituer aussi. En recourant au tapage sur la question de leurs relations contractuelles avec l’Europe.

Solidarité au forceps

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Car le parti des Vrais Finlandais, fort du cinquième des voix du pays et de la montée en puissance de son groupe parlementaire, participera nécessairement au prochain gouvernement. Et ses positions à l’égard de l’Union sont clairement affichées : le plus de distance possible. Notamment lorsqu’il s’agit de faire jouer la solidarité européenne – c’est-à-dire de mettre la main à la poche pour secourir les collègues du « Club Med ». Tout particulièrement le Portugal, qui a tout d’abord refusé crânement « l’aide » européenne, avant de se rendre à l’évidence : le soutien de l’Union est une mauvaise option, certes, mais les autres ne sont pas meilleures. Si bien que sous la houlette du FMI et de la BCE, les principaux partis sont sommés de se mettre d’accord sur les sacrifices à consentir, avant les législatives programmées le 5 juin : l’avenir proche nous dira si l’électeur portugais apprécie qu’une décision stratégique capitale soit adoptée avant un scrutin décisif. Mais encore faudra-t-il que la position finlandaise soit clarifiée : les Vrais Finlandais refusent tout net d’abonder la cagnotte de sauvetage de Lisbonne, et pour décider du plan ad hoc, l’unanimité est requise au Conseil européen. On se rassure, à Bruxelles, en se persuadant que les choses finiront par s’arranger, comme avec les Portugais.

Au motif que l’apaisement profiterait à tout le monde : à l’euro, aux Finlandais et à… Nokia. Et donc que les récalcitrants finiront par accepter un compromis honorable. Le tout devant être réglé lors du Conseil des ministres des Finances de l’UE, les 16 et 17 mai prochains. Dernière ligne droite avant l’échéance que doit honorer le Portugal : 4,9 milliards d’euros, le 15 juin.

Comme on peut le constater, il n’est pas facile d’étouper le navire communautaire, en dépit des moyens du fonds de soutien (EFSF), théoriquement fixés à 440 milliards d’euros. Ledit fonds est chargé de faire la soudure avant le dispositif « grosse Bertha » supposé lui succéder en 2013 : le fameux MES (Mécanisme européen de stabilité). Une succession en effet hypothétique, si l’on en juge à la grogne des parlementaires allemands : le nombre de députés ayant annoncé leur intention de voter contre la création du MES ne cesse d’augmenter.

Ce n’est pas nouveau de la part de l’Allemagne, qui a inventé la formule « Club Med » pour les Etats du Sud dans la mélasse ; mais le mouvement de repli prend une ampleur qui fait douter de la réalité du soutien communautaire. Sans les fonds et la caution de la riche Allemagne, le concept de solidarité au sein de l’Union perd tout son sens. Les doutes accroissent la pression sur le cours de la dette des « PIGS » – notamment celle de la Grèce et du Portugal. Les taux qui en résultent sont tout simplement intenables. Si bien que personne ne peut ignorer qu’une douloureuse restructuration soit en préparation.

De quoi faire stresser un peu plus la Chancelière allemande : ses banques sont très engagées sur la Grèce. Et donc très exposées à un « haircut ». Mais que l’on se rassure : dans les risques encourus, nos propres banques sont solidaires de leurs homologues teutonnes. Voyez où peut mener le coup de sang d’une poignée de Finlandais. Qui sont excédés par les immigrés, lesquels représentent… 0,6% de leur population. Selon quoi l’hospitalité nordique est plutôt restrictive…

Par Jean-Jacques JUGIE

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