Maîtres d'ouvrage public :

Maîtres d’ouvrage public : attention au décompte général et définitif tacite

Poursuivant un objectif louable d’amélioration de la gestion de la
trésorerie des entreprises du bâtiment, le gouvernement vient de modifier,
par arrêté en date du 3 mars [1], certaines clauses du CCAG - Travaux, dont l’article 13 qui concerne le processus d’adoption du
décompte général et définitif d’un marché de travaux.

C’est ainsi que les nouveaux articles 13.3 et 13.4 du CCAG - Travaux
permettent à l’entrepreneur qui n’a pas reçu son décompte général,
de mettre en demeure le maître de l’ouvrage de procéder à une telle
notification. Si le maître d’ouvrage n’a pas transmis à l’entrepreneur
le décompte général, dans un délai de 10 jours suivant la mise en
demeure, le projet de décompte final établi par l’entrepreneur devient
le décompte général et définitif du marché.

La modification de l’état du droit est donc de taille. Si le maître d’ouvrage
refuse de notifier le décompte général, le décompte établi par
l’entrepreneur constitue le décompte général et définitif soldant définitivement
les comptes entre les parties.

Le risque juridique est donc des plus importants pour les collectivités
publiques. L’absence de notification du décompte général peut donc
conduire la collectivité publique à admettre tacitement les sommes
inscrites par l’entreprise dans le décompte et portant, entre autres,
sur les quantités de prestations effectuées, l’absence de pénalités de
retard, ou encore le montant des réclamations...

Toutefois, le risque encouru par la collectivité publique ne se limite
à admettre les prétentions des entrepreneurs. Ce nouveau régime
d’adoption tacite du décompte général et définitif d’un marché de travaux
soulève, en effet, de nombreuses interrogations opérationnelles
au regard des jurisprudences récentes du Conseil d’Etat obligeant
les collectivités à intégrer dans les décomptes généraux l’ensemble
des sommes réclamées aux entrepreneurs. Le Conseil d’Etat oblige
les maîtres d’ouvrages à intégrer dans le décompte général du marché
le montant des travaux nécessaires pour procéder à la levée des
réserves (C.E 20 mars 2013, CH de Versailles, req. n° 357.636). La
notification du décompte général interdit, ainsi, aux maîtres d’ouvrage
d’adresser aux entrepreneurs une réclamation portant sur des sommes
liées à la levée des réserves non intégrées dans le décompte général,
et ce même si un litige est en cours devant la juridiction administrative.

Dans le même ordre d’idée, le Conseil d’Etat considère que la notification
du décompte général prive la collectivité publique de la possibilité
de réclamer à l’entrepreneur le coût d’une malfaçon si ce coût
n’est pas intégré dans ledit décompte général, et ce même si une
expertise judiciaire était en cours au moment de la notification du décompte
(C.E 6 novembre 2013, Région Auvergne, req. n°361.837).

Pour éviter les conséquences drastiques de cette jurisprudence, les
collectivités publiques évitent de notifier les décomptes généraux tant
qu’elles n’ont pas pu chiffrer objectivement le coût des malfaçons
imputables à un entrepreneur ou le coût des réserves non levées.

La modification de l’article 13 du CCAG - Travaux et l’instauration
d’un décompte général et définitif tacite empêchent, désormais, les
collectivités publiques de mettre en oeuvre une telle stratégie. Les collectivités
publiques ne peuvent, ainsi, plus refuser de notifier le décompte
général d’un marché de travaux pour préserver leurs droits,
et pour faire face à l’impossibilité de chiffrer lors de la notification du
décompte le montant des malfaçons, des réserves à la réception, ou
des pénalités de retard.

Les collectivités publiques doivent, donc, adapter leur stratégie pour
faire face à cette évolution du droit. Ne pouvant plus refuser de notifier
le décompte général pour préserver leurs droits, les maîtres d’ouvrage
ne disposent plus que de trois solutions.

Elles peuvent, tout d’abord, envisager de notifier un décompte général
intégrant des montants surévalués de pénalités de retard, de réparation
de malfaçons, ou encore de réserves non levées à la réception.
Cette stratégie de « minimisation du risque » conduit ainsi la collectivité
à émettre un décompte général présentant un important solde
négatif pour l’entrepreneur et conduisant ce dernier à contester ce
décompte en justice.

Les personnes publiques peuvent préférer notifier un décompte général
avec réserves. Les réserves porteraient, ainsi, sur les montants que
la collectivité publique ne peut pas chiffrer au moment de la notification
du décompte (pénalités de retard, montant des malfaçons, coûts
des réserves non levées,….). Cette solution suppose, toutefois, que
le juge administratif valide explicitement la possibilité juridique pour
les maîtres d’ouvrage de notifier un décompte général avec réserve.
Cette possibilité demeure, à l’heure actuelle, discutée.

Enfin, les collectivités publiques peuvent envisager de déroger au
nouvel article 13 du CCAG – Travaux et de prévoir qu’ils continuent
d’appliquer l’article 13 dans son ancienne version. Cette solution
permettrait, ainsi, aux collectivités publiques de continuer à ne pas
notifier le décompte général du marché, et ce sans que ce défaut de
notification n’emporte de conséquences juridiques. Cette possibilité
de déroger au nouvel article 13 du CCAG – Travaux est, toutefois,
juridiquement discuté. Les représentants de la FFB considèrent, ainsi,
qu’il n’est pas possible de déroger à ce nouveau dispositif puisqu’il
s’inscrit dans la continuité du décret n°2013 – 269 du 29 mars 2013
relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la
commande publique. Ils considèrent, dans ces conditions, que le nouvel
article 13 du CCAG – Travaux présente une nature réglementaire
et qu’à ce titre les collectivités publiques ne peuvent pas y déroger.
Nul doute que cette question sera posée au juge administratif dans le
cadre de prochains contentieux.

Quelle que soit la solution retenue par la collectivité publique, il est indéniable
que la mise en place d’un décompte général et définitif tacite
place les collectivités publiques dans une situation délicate pour anticiper
les conséquences drastiques des jurisprudences du Conseil d’Etat. Il
semblerait que le gouvernement n’ait pas anticipé cette difficulté et n’ait
pas pensé que les collectivités publiques peuvent refuser de notifier les
décomptes généraux des marchés le plus souvent pour préserver leurs
intérêts et par voie de conséquence pour protéger les deniers publics.

[1Arrêté du 3 mars 2014 modifiant l’arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation
du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de
travaux – NOR EFIM1131736A

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