Match écossais : le poids du « no »

S’agissant de ponctuer quatre siècles de vie commune, la réponse au référendum écossais revêt un poids significatif. Qui emporte des ondes de choc dans un périmètre éloigné d’Edimbourg. Finalement, ce ne serait peut-être pas mal vu si les Ecossais voulaient bien patienter encore un peu avec les Anglais sur le dos…

Les Ecossais n’ont pas fini de faire parler d’eux.

Ainsi va la vie des « minorités » lorsque le rouleau compresseur de la puissance dominante tente d’écraser leurs singularités culturelles, qui ne relèvent pas seulement du folklore linguistique ou de la survivance de sectes religieuses. Au cas d’espèce, il convient de noter que l’Angleterre a longtemps résisté à Rome et que le grand Jules César dut en son temps limiter ses succès à la Gaule continentale. Ce sont les légions de Claude (vers 45 après JC ) qui enlèveront le morceau ; mais ni le mur d’Hadrien (édifié vers l’année 120), ni le mur d’Antonin ne suffirent véritablement à contenir l’énergie guerrière des « Barbares de Calédonie », ces Pictes intrépides qui n’ont cessé de pourrir la vie des Romains – le grand Septime Sévère passa l’arme à gauche lors du siège d’Eburacum (York), même si c’est la goutte qui fit déborder le vase, si l’on ose dire.

Depuis lors, bien des sujets de discorde ont été apaisés – il n’est plus question de rétablir les Stuart sur le trône, par exemple. Mais le Scotland Act de 1998 a donné naissance au Parlement écossais, lequel a suscité la création du Scottish Liberal Democratic Party, un parti « de gouvernement » tout d’abord marqué à gauche, puis de plus en plus indépendantiste pour le devenir… intégralement. Au point que le prochain référendum posant la question de l’indépendance, longtemps considéré comme une formalité un peu barbante par le monde politique et les milieux d’affaires britanniques, revêt tout à coup une importance accrue : pour des motifs encore mal expliqués, l’appétence pour l’indépendance de l’Ecosse a suffisamment progressé pour rendre plausible la victoire du « oui ». D’évidence, cette hypothèse contrarie très fort les intérêts du Royaume-Uni, ou plutôt de ce qui reste de l’Empire britannique après les multiples atteintes à sa splendeur passée ; elle inquiète également tous ceux qui, dans le cadre de l’intégration européenne, ont à faire face à des rejets de greffe sur une portion de leur territoire. Toutes ces démarches de sécession ne reposent pas sur un socle constitutionnel solide, susceptible de valider automatiquement les aspirations à l’autonomie, pour peu qu’elles se manifestent clairement par les urnes. Mais l’ancienneté des revendications avancées, le mépris non dissimulé des autorités communautaires à leur égard et la médiocrité des performances de l’Europe sous son imperium inflexible, tout cela confère aux protestataires un surcroît de légitimité et met en lumière la possible (probable) mauvaise foi des « oppresseurs » dans leur argumentation.

Des bénéfices aléatoires

On se doute que dans le cas de l’Ecosse, le Premier ministre Alex Salmond, qui est aussi le plus vaillant porte-drapeau de l’indépendance, pose pour hypothèse que le sort de son pays serait meilleur hors du Royaume-Uni qu’en son sein. Sans exclure toutefois des alliances de voisinage, qu’on imagine sans peine plutôt sélectives : d’accord pour copiner avec Londres pour les délicates questions monétaires (qui sont déjà un sujet de préoccupations constantes dans le contexte présent) ; pas vraiment d’accord pour que la City continue de plonger ses pattes gourmandes dans le miel écossais. En premier lieu, l’énergie : environ 85% des hydrocarbures de la Mer du Nord se trouvent en territoire écossais, donc transférables au nouvel Etat... s’il conquiert son indépendance. Grosso modo, le secteur serait susceptible de contribuer à environ 15% de l’économie de la « nouvelle Ecosse », encore que la question soit largement soumise à débats. Selon le traitement fiscal qui sera réservé au pétrole et au gaz, la contribution du secteur au budget national varie dans des proportions importantes – tout comme les intérêts des concessionnaires de la City, dont le magot énergétique pourrait être méchamment écorné par une conception un peu trop partageuse de l’intérêt général…

Autre poids lourd de l’économie écossaise, le secteur financier.

Ce serait cruel d’oublier que la Royal Bank of Scotland est probablement la plus vieille institution bancaire britannique (création en 1727), et c’était un paquebot (en termes d’actifs et de capitalisation) avant la série d’embarras post-2007. Les années du début du XVIIIème sont une période faste pour le déploiement de l’imagination bancaire écossaise (on dirait aujourd’hui : l’ingénierie bancaire). Car dans le même temps, l’inimitable John Law de Lauriston, aventurier méthodique (on dirait aujourd’hui : capital-risqueur éclairé), offrait à la France un modèle génial de développement du papier-monnaie et, en prime, la bulle qui emporta le système – pas plus alors qu’aujourd’hui, notre espèce n’a su résister à la tentation de l’excès. Dans l’immédiat, les établissements de crédit ne monopolisent pas l’attention pour ce qu’ils pèsent, mais pour la nature de leur environnement après le scrutin. En d’autres termes, quelle sera la monnaie du pays en cas de victoire du « oui » ? Le nouvel Etat plaide pour le maintien de la livre, ce qui contribuerait à créer un nouveau système autour de la devise britannique – un scénario que Londres veut éviter bien que ce soit un moyen plutôt efficace de maintenir Edimbourg dans la dépendance budgétaire (et l’obliger à l’austérité). Parallèlement, les nouveaux Indépendants aspirent à adhérer à l’UE (pour profiter de la taille de son marché), ce qui revient pour eux à apostasier un lien quadri-centenaire avec le Royaume-Uni, qui a plutôt bien fonctionné, pour un deal direct avec le suzerain en chef, pétri d’incertitudes. Finalement, on se demande si les Ecossais n’auraient pas avantage à réfléchir encore un peu avant de virer les Anglais. Pas nécessairement quatre siècles.

Mais en quelques dizaines d’années, les technos bruxellois ont démontré qu’ils sont encore plus difficiles à supporter.

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