Numérique - Avenir urbain

Numérique - Avenir urbain : faire parler la ville

Les villes constituent de véritables trésors statistiques. Nos déplacements, nos habitudes, nos gestes quotidiens permettent de comprendre les besoins et d’optimiser les services. Mais les réticences demeurent fortes.

On dénombre un million d’immeubles à New York. Chaque année, un incendie se déclare dans 3 000 d’entre eux. Dans la plupart des cas, la catastrophe était prévisible. Le célèbre Fire Department (NYFD) de la mégalopole a en effet constaté que les feux se produisaient souvent dans les mêmes quartiers et dans les mêmes types d’immeubles. Comment améliorer cette capacité à prévoir le risque ?

Pour l’administration new-yorkaise, la réponse tient en deux mots  : open data.

La politique d’ouverture au public des données, menée à partir de 2012 par Michael Bloomberg, alors maire, peut fournir des solutions. Les immeubles qui prennent feu présentent en effet des caractéristiques qu’il est possible de déterminer en croisant une soixantaine de critères. L’âge de l’immeuble, le taux de pauvreté, la fréquence des appels d’urgence, le nombre de « sprinklers », ces extincteurs automatiques qui garnissent les plafonds, ou encore la présence ou non d’ascenseurs permettent, une fois agrégés, d’indiquer aux pompiers quels immeubles ils doivent inspecter en priorité.

Pour Stephen Goldsmith, ancien adjoint au maire Michael Bloomberg et également ancien maire d’Indianapolis, « les données constituent une mine ». L’ancien élu, aujourd’hui professeur à Harvard, s’exprimait début juillet à Berlin dans le cadre du séminaire organisé par « La fabrique de la cité », un « think-tank » financé par le groupe de construction Vinci. Pour leur rendez-vous annuel, les cadres de la multinationale et leurs invités, une centaine d’experts, d’élus et de journalistes, se sont penchés sur l’« urban data », cet ensemble de données statistiques émises par les villes.

Enorme potentiel

A Berlin, les participants au séminaire ont découvert les nombreuses innovations lancées en Allemagne pour optimiser cette « mine ». A Stuttgart, la municipalité a distribué à la population 300 détecteurs de pollution atmosphérique, faciles à installer, et dont les données peuvent être lues par des non professionnels. Des militants écologistes, mais aussi de simples citoyens, s’en sont emparés pour effectuer leurs propres mesures, qui sont également transmises aux services concernés.

Les automobilistes de Dresde peuvent télécharger sur leur smartphone une application leur indiquant les places de parking libres, y compris en fonction de la taille de leur véhicule. Un gadget ? Certes. Mais le module devient intéressant lorsqu’il permet de prédire les quartiers et les rues où l’automobiliste pourra trouver de la place, en fonction du jour, de l’heure voire du temps qu’il fait.
Les données récoltées chaque jour par les services urbains sont innombrables, le potentiel monumental. Souvent, l’open data prend la forme d’applications utiles ou futiles programmées avec passion, nuit après nuit, par de jeunes ingénieurs. Mais pas seulement. L’exploitation de la statistique publique peut donner lieu à des palmarès des « villes où il fait bon vivre », à des classements d’élus les plus assidus, à une évaluation des politiques publiques par rapport aux promesses électorales. L’art se décline au sein même des services administratifs. Présente au séminaire de La Fabrique de la cité, Laurence Comparat, adjointe (EELV) du maire de Grenoble en charge de l’open data et des logiciels libres, plaide pour une large mise à disposition du public des données urbaines.

Réticences administratives

Mais l’open data bute sur plusieurs écueils, qui se révèlent à mesure que la matière se densifie. Tout d’abord, la diffusion des données publiques suscite encore des craintes liées à la protection de la vie privée, notamment en Allemagne, où le passage de la « Google car », surmontée d’une caméra n’a pas été accepté partout. De nombreux citoyens allemands avaient obtenu du logiciel Google Street View que leur habitation soit floutée. Les partisans de l’open data balaient ces objections d’un revers de main. C’est l’agrégation des informations qui présente un intérêt, et non chacune des données personnelles. En outre, les autorités veulent convaincre les habitants de participer eux-mêmes à la collecte, ne serait-ce qu’en acceptant un « traçage » géographique.

Pour les villes décidées à s’y mettre, la difficulté consiste en effet à rassembler les informations. A Berlin, « chacun des 12 arrondissements dispose de sa propre méthode pour récolter les informations », observe Julia Kloiber, responsable pour l’Allemagne de l’Open Knowledge Foundation, une association qui promeut la culture du logiciel libre. Stephen Goldsmith, le spécialiste new-yorkais, voit l’administration comme « une série de boîtes collées les unes aux autres et qui ne communiquent pas entre elles ». Il aurait pu citer l’exemple de la France, où l’Insee et l’Institut géographique national (IGN) ne sont pas parvenus à proposer une lecture cartographique des résultats des recensements. C’est une structure créée spécialement par l’Etat, Datafrance, qui a finalement mis en ligne une carte interactive d’une grande qualité, sur laquelle on peut consulter aussi bien la proportion de chômeurs par commune que les coordonnées exactes des gares ou la taille moyenne des logements.

La « chaussette trouée »

Enfin, les premiers concernés s’affolent devant le culte de la transparence. « Les données appartiennent aux élus ! », s’est récemment exclamé Guy Le Bras, directeur général du Groupement des autorités responsables des transports (Gart), une association d’élus. Même si le responsable a immédiatement rectifié en précisant que les données étaient la propriété « des collectivités », ce propos reflète l’avis de nombreux maires et fonctionnaires territoriaux.
Pendant des décennies, on a demandé aux services de conserver jalousement les statistiques maison. Et désormais, il faudrait les diffuser gratuitement sans savoir comment elles seront utilisées.

La réticence des fonctionnaires ne s’explique pas seulement par la rigidité administrative. Il y a aussi ce que l’on pourrait appeler « le syndrome de la chaussette trouée ». Ouvrir les placards et les tiroirs, c’est en effet s’exposer au regard des autres. Les méthodes de collecte ne sont pas toujours parfaites, les données présentent parfois des « trous », certaines statistiques en disent davantage sur celui qui les a collectées que sur le sujet observé, et des archives ont parfois été accumulées sans autre but que de faire travailler des services… En d’autres termes, l’open data ne pourra qu’améliorer le fonctionnement des collectivités.

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