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Patrick Moulard : « Le logement neuf va poursuivre sa chute »

Loin d’être résigné, le président de la Fédération du BTP des Alpes-Maritimes ne peut toutefois ignorer la réalité, celle d’un secteur en crise avec peu de signes encourageants à l’horizon.


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Annoncée très destructrice en termes d’emplois, l’année 2024 l’a finalement été un peu moins que prévu. Il y avait, selon Patrick Moulard, une perte d’emploi estimée entre 1 500 et 2 000 et « nous avons perdu aux alentours de 1 000 emplois ». «  Ce qui est un peu plus inquiétant, ce sont les défaillances d’entreprises puisqu’on a identifié 380 entreprises défaillantes dans le BTP dans ce département, sur un an glissant. C’est une augmentation assez folle puisqu’on est à + 44,8 % par rapport à l’année dernière », a ajouté le président de la FBTP 06 lors d’un échange avec la presse, le 27 janvier, au siège de la fédération.
«  On tire surtout la sonnette d’alarme pour le logement neuf. Les mises en chantier sont au plus bas depuis 15 ans. Elles ont chuté de 20,3 % sur un an avec seulement 4 010 logements commencés. Historiquement, on rentre toujours plus tardivement qu’au niveau national dans la crise mais on en sort aussi plus tardivement  », a-t-il prévenu. « Il faut remonter à 2009, au moment de la crise des « subprimes », pour retrouver un volume de production comparable ». Selon lui « le logement neuf est vraiment le point à surveiller. Avant le Covid, on construisait aux alentours de 9 000 logements. On voit bien le déficit de logements que l’on va encore créer dans ce territoire qui a pourtant besoin de logements pour ses actifs ». Il a aussi rappelé que selon l’INSEE un minimum de 5 000 logements par an est nécessaire dans ce département.

« Un peu moins mauvais » pour les TP

Jérôme Ivanez et Patrick Moulard ©S.G

« Si 2024 fut une année de résistance face à la récession, 2025 sera une année de crise sévère pour le BTP azuréen et le logement neuf sera plus particulièrement impacté », a encore déclaré Patrick Moulard. « Dans un contexte chaotique  » et «  en l’absence de mesures nationales fortes, notamment avec une nouvelle loi de finances, et une prise de conscience collective, la production de logements neufs devrait à nouveau plonger de 20 % en 2025 dans notre département. Et on a malheureusement une prévision de perte de 2 000 emplois sur l’année  ».

Jérôme Ivanez, vice-président Travaux publics et routiers, a confié que pour son secteur le bilan était « un peu moins mauvais  ». « Sur le volume global, on a noté une hausse du montant total des marchés de 4 % en 2024  », a-t-il indiqué. Mais les prévisions pour 2025 n’incitent pas trop à l’optimisme : « On est vraiment dans un attentisme et une incertitude puisque les investissements structurants du département sont impactés de manière directe par la crise de l’immobilier avec la chute des droits de mutation et les incertitudes liées aux risques de baisse de dotations de l’État ».

La FBTP 06, qui fête ses 130 ans d’existence, entend maintenir en 2025 ses interactions permanentes avec les élus du département pour faire entendre sa voix et aura toujours la capacité d’accueillir les entreprises en difficulté avec sa cellule de crise ouverte en septembre 2023.

« On est toujours trop cher pour nos clients »

Autre motif d’inquiétude pour Patrick Moulard  : l’écart de rentabilité entre les Alpes-Maritimes et les autres départements français qui se creuse, alors que « nos clients disent qu’on est toujours trop cher ». Se basant sur une étude comparative menée depuis quelques années par la Banque de France sur la valeur ajoutée moyenne dans les activités de construction, le président de la FBTP 06 souligne que les entreprises du département sont « encore moins performantes » par rapport à la France entière, sans compter l’Ile-de-France (- 27 % en 2024 contre - 24 % en 2023) et par rapport au département du Nord (- 34 % contre - 32 %). «  C’est très inquiétant, on n’arrive pas à gagner du terrain  ». Cet écart, qui se creuse, est notamment dû au surcoût de construction lié aux normes antisismiques, aux nombreux péages sur l’A8, à des grilles de salaires parmi les plus élevées après l’Ile-de-France et aux assurances qui coûtent plus cher.

Interrogations autour du « Dire de l’État » du préfet

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En juillet dernier, Hugues Moutouh faisait établir un «  Dire de l’État  » pour demander « une meilleure prise en compte de l’état de la ressource en eau disponible pour tout nouveau projet d’urbanisation dans le département  ». Pour Patrick Moulard, cette décision du préfet représente « un certain nombre de difficultés » alors qu’il n’y a pas aujourd’hui « de problématique » liée à la ressource en eau dans le département. « Il est vrai qu’il peut y avoir demain une pénurie mais il est important de réparer les réseaux car il y a des fuites énormes, ce sont des millions de mètres cubes qui partent dans la nature », a-t-il fait valoir. « On peut mettre des conditions pour obtenir et modifier les PLU mais il faut que les collectivités, avec peut-être l’appui de l’État, réparent ces réseaux. Il y a près de 20 % de fuites sur les territoires du littoral et de 35 % à 40 % de fuites sur les réseaux du Haut pays, assure le président de la FBTP 06. Des choses sont faites mais ce n’est pas suffisant. Nous essayons de voir plus loin mais c’est quand même contraignant. Avec de ‘Dire’, les collectivités ne savaient pas trop où aller, certaines ont déposé des recours. À suivre ».

Le préfet a rappelé le 29 janvier que le Dire de l’État n’était pas «  destiné à bloquer un permis de construire. Il ne se situe pas à ce niveau-là. C’est un document stratégique d’orientation qui vise à faire prendre conscience aux collectivités de l’importance de quantifier la ressource en eau dans le cadre de leur planification urbaine ». Hugues Moutouh a insisté : « Le Dire de l’État ne s’oppose pas à la délivrance d’un permis de construire. C’est justement pour ne pas en arriver là, ce qui s’est passé dans d’autres territoires, l’Hérault et le Var, où finalement rien n’a été fait et, au dernier moment, on bloque le permis de construire. Ce Dire de l’État, finalement, c’est du bon sens  ».

Les demandes du bâtiment pour inverser la tendance

Un exemple de la densité urbaine en cours dans le centre-ville de Nice. ©S.G

Les professionnels souhaitent des actions à deux niveaux, toutes listées par le président de la FBTP 06. Le premier niveau est national. Il s’agit d’avoir «  une politique du logement plus incitative  ». Ce qui se traduit par cinq mesures : restauration du prêt à taux zéro (PTZ) pour les primo-accédants, sur tout le territoire et pour tous les types de logements ; exonération temporaire des donations à hauteur de 100 000 euros par donateur en vue de la construction ou de l’acquisition d’une résidence principale ; vrai statut du bailleur privé pour développer l’offre locative après l’arrêt du dispositif Pinel cette année ; intégration du logement intermédiaire dans les quotas de logements sociaux, afin de réduire la pression induite par la loi SRU ; et assouplissement du calendrier du ZAN (zéro artificialisation nette). Le second niveau se joue plus à l’échelle du département avec une demande « d’attitude plus constructive des décideurs locaux », ce qui passerait par sept actions : libérer du foncier à prix modéré afin de faciliter des projets de construction de logements ; agir sur la densité ; exploiter la totalité des droits à construire des PLU (plans locaux d’urbanisme) ; ne pas ajouter de contraintes supplémentaires ; accélérer les délais d’instruction des permis de construire (chose déjà promise par l’ancien Premier ministre Gabriel Attal) ; simplifier l’ensemble des procédures ; et lutter collectivement contre les recours abusifs.

Photo de Une ©S.G