Plages - Démolitions (...)

Plages - Démolitions et concessions : les nouvelles règles du "jeu"

"Bijou Plage" ou "Moorea Beach" à Juan-les-Pins, commune d’Antibes. "Tétou" et "Nounou" à Golfe-Juan, commune de Vallauris... Mais aussi "Marco Polo" à Théoule, etc. Le nom des plages privées qui ont disparu cet hiver du littoral azuréen sous le coup des pelleteuses défile telle la liste des tués devant un monument aux morts un jour de 11 novembre. Tombées, non pas au sable d’honneur, mais au nom de la loi littoral, implacable, qui pour leurs exploitants n’a pas (du tout) tenu compte des services rendus à l’image et à la réputation de la Côte d’Azur.

Si force doit rester à la loi, nombreux furent ceux qui virent disparaître du paysage ces établissements où se côtoyaient, en bras de chemisette et
chapeau de paille, la jet set, les hommes d’affaires, les touristes et les autochtones qui aimaient venir pour déjeuner et dîner ou prendre un matelas, et pas seulement pendant les vacances.

Picasso, Cocteau, Lagerfeld, Madonna mais aussi vous et moi, y trouvaient un p’tit coin de paradis pour un coin d’parasol.

La table y était généralement bonne, voire réputée, l’addition parfois salée, mais l’ambiance toujours au rendez-vous.
Maintenant que les bulldozers sont passés, "que reste t-il de nos amours", titre d’une chanson de Charles Trénet, qui n’était pas le dernier à venir déjeuner et se faire bronzer du côté de Juan ? De la nostalgie chez les habitués, un zeste de colère chez ceux qui ont exploité en bons pères de famille ces établissements, et... des inscrits à Pôle Emploi.
Dura lex, sed lex. Elle est passée, par la détermination du préfet des Alpes-Maritimes, Georges-François Leclerc, qui a déclenché la force publique. Alors, la messe est dite, n’en parlons plus, ou plutôt si encore un peu...

Le droit d’inventaire

Car, dans le royaume des plages, tout n’est pas aussi idyllique que le paysage : les "sortants" de la concession Bijou-Plage à Cannes n’ont ainsi pas pu participer à l’appel d’offres et se succéder à eux-mêmes : ils n’étaient pas à jour des redevances dues à la collectivité. Leur lot, ouvert parmi une vingtaine remis en jeu en début d’année dans la cité du cinéma, était pourtant attirant puisqu’une douzaine de candidats à la reprise ont postulé.
À Juan, les plagistes ont démonté de leur plein gré mais la mort dans l’âme (voir l’interview de Bernard Matarasso, page 2). Ailleurs, les gendarmes et les déménageurs sont venus pour sortir de force les exploitants, comme à la "Mala", à "l’Eden" et à "La Réserve" à Cap d’Ail, chez "Tétou" et "Nounou" à Golfe-Juan. Une plage ne peut être que concédée, le domaine public appartenant à l’État étant à la fois inaliénable et imprescriptible. Les communes organisent alors une DSP, pour désigner les attributaires. L’été prochain, si tout va bien, de "nouvelles" plages fleuriront sur le littoral azuréen. Elles seront forcément démontables.

Henry Mathey milite pour une durée des concessions de 18 ans. (JMC)

Parlez des plages privées à Henry Mathey, président de l’UMIH 06 Antibes-Juan-les-Pins, et il vous citera les trois premiers établissements qui lui viennent en tête : Bijou-Plage à Juan-les-Pins, Tétou et Nounou à Golfe-Juan.

Trois adresses mythiques, qui sont passées sous le rouleau compresseur des bulldozers, en raison de l’application du "décret-plage" stipulant que les installations de bord de mer doivent être démontables et fixant des règles draconiennes pour l’occupation du domaine public.
Pour les âmes biens nées, "il fallait venir déguster la langouste et la bouillabaisse à Bijou-Plage. Ou aller chez Dédé Djan, de Moorea. C’était emblématique de la Côte d’Azur, de son image. Les photos de ces repas et de ces fêtes ont fait le tour du monde et la réputation de notre destination".
Si Kennedy, Hemingway et Sidney Bechet sont des vieilles lunes qui appartiennent à la légende de Juan, on se souviendra encore longtemps du plus récent mariage de Rod Stewart, de ces vedettes du show-biz pour qui les plages étaient un passage quasi obligé. Ou d’Albert de Monaco qui, jeune homme, aimait venir s’amuser ici, loin des yeux du prince Rainier. De tous ceux que l’on retrouvait à la Une des magazines.
"Avoir fait disparaître ces établissements est une erreur. C’est comme si l’on déplaçait le marché provençal à Antibes" poursuit le président de l’UMIH locale. "Et vouloir que les installations soient montées et démontées chaque
année n’est pas raisonnable puisque nous avons chiffré à 50 000 euros par an le coût de ces opérations qui comprennent aussi le transport et la location d’un terrain pour recevoir les matériels
".

Comme Henry Mathey, toute la profession s’est mobilisée au niveau national pour tenter le dialogue avec les pouvoirs publics. Sans grands résultats concrets. Pourtant les difficultés rencontrées à Juan sont identiques pour d’autres plagistes de la méditerranée ou de l’Atlantique qui exploitent leurs établissements depuis plusieurs dizaines d’années pour certains. "Nous savons que le décret ne bougera pas. On veut donc le faire évoluer dans la durée, c’est à dire obtenir des concessions de 18 ans plutôt que de 12 comme actuellement. Cela permettra aux exploitants d’avoir davantage de temps pour amortir, donc de faire des investissements vraiment qualitatifs. Et d’entreprendre des rénovations au bout de cinq ans, car nos installations de plage souffrent des aléas de la météo, du sel etc".
L’allongement de la durée des concessions est un objectif réaliste auquel la profession s’est attelée. La décision en revient en effet à Bercy et pourrait donc entrer en vigueur dès la Loi de Finances 2019 espère t-on sous les parasols. Alors que la modification du décret dépend de l’accord de cinq ministères : autant dire mission impossible à court terme du moins.

Dura lex, mais un bel été quand même...

Éviter une "saison blanche" a été la première préoccupation de la municipalité d’Antibes Juan-les-Pins dirigée par Jean Leonetti. Aussi, en attendant le
1er janvier 2019, date du début des concessions, plusieurs lots ont bénéficié dès cet été d’une autorisation d’occupation temporaire (ATO) délivrée par l’État dans le secteur central du ponton Courbet à Juan. Une dérogation qui permet de fonctionner normalement et d’accueillir dans des conditions optimum les touristes du millésime 2018. Il y a donc entre l’Hôtel Belles Rives et le ponton Courbet dix-sept plages naturelles concédées qui sont ouvertes.
Sur la station, dix-neuf plages "privées" sont donc ouvertes cet été, un chiffre qui sera porté à vingt-six l’année prochaine. Pendant l’hiver, la commune a réalisé des travaux importants pour que toutes les plages soient accessibles : renforcement des réseaux, ré-ensablement, etc. Sur l’épi Lutetia, une remise en état de la plage a également été réalisée à la suite de la démolition des plages. Particularité antiboise : la Ville exploite directement en régie deux plages, l’une à Juan (Richelieu) et l’autre à la Garoupe. Elles sont accessibles (y compris aux personnes à mobilité réduite) mais sans réservation possible, le prix à payer pour bénéficier de prix très doux pour les matelas. Elles disposent également, ainsi que la plage de la Gravette (près des remparts du Vieil Antibes) de casiers sécurisés où les baigneurs peuvent laisser en sécurité leurs objets personnels.

Ramatuelle : tempête sur les parasols

Rien ne va plus du côté des plages de Ramatuelle dans le Var où les vedettes en goguette et les paparazzi n’ont plus qu’une seule conversation cet été : des exploitants "historiques", qui virent défiler BB en bikini et les stars du cinéma sur leurs matelas, se sont vus retirer leur concession au profit d’hôtels de luxe. La municipalité voulant "monter en gamme". La colère gronde sous les parasols...

Cannes : les parachutes ascensionnels aussi

Wakeboards, bouées tractées, parachutes ascensionnels tirés par un canot : jusqu’à cette année, les hôtels de la Croisette étaient libres de choisir leur prestataire. Ce n’est plus le cas maintenant, la mairie a lancé un appel d’offres pour les six prochaines années. Au final, ces attractions prisées ont été confiées aux mêmes exploitants, seul le Grand Hôtel ne se représentait pas.

Décret plage : les discussions entamées dès 2006

Pour l’État, les exploitants des plages démolies occupaient "sans droit ni titre le domaine public maritime" en violation du décret plage de 2006 "qui impose à tout établissement d’être démontable (et démonté) en hiver et d’occuper au maximum 20% de la surface de la plage".
Le préfet des A-M a obtenu la démolition volontaire ou a fait intervenir la force publique au moment du renouvellement des concessions.
Sur Cannes, les exploitants ont accepté une mise en conformité dans la douceur, ainsi qu’à Nice il y a quelques années, mais au prix de surfaces de plages réduites. Des établissements démolis ont depuis été reconstruits dans les normes, comme à Théoule par exemple. Enfin, il est à noter que les exploitants qui ont refusé purement et simplement la démolition n’ont pas le droit de concourir à leur propre succession...

Le soleil brille pour tout le monde !

Les plages privées de Juan comme celles des autres stations balnéaires font partie de l’histoire de la Côte d’Azur. Elles reçoivent une clientèle particulière, prête à mettre un billet ou deux pour bénéficier d’un matelas confortable et d’un service attentif. Les baigneurs des plages publiques, eux, considèrent ces espaces comme devant être ouverts et gratuits pour tous.
En signant il y a douze ans son décret, Jean-Louis Borloo a voulu partager "équitablement" les surfaces de sable ou de galets. Cela s’est avéré difficile de trouver le "juste milieu" entre les deux parties (qui ne sont d’ailleurs pas forcément irréconciliables).
La période actuelle de "remise en ordre" est forcément délicate, mais le soleil continuera à briller pour tout le monde !

Photo de Une : DR JMC

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