Retraites : l'apaisement

Retraites : l’apaisement

Toilettage sans heurts, sans cris et sans larmes, du régime de retraite. Tout le monde paiera un peu, selon le principe de solidarité. Mais ces ajustements pourraient se révéler rapidement inopérants au vu de la constante raréfaction des offres d’emploi. La vraie réforme à engager serait plutôt celle… du travail.

Il y a dans notre pays des thèmes qui constituent un marronnier inépuisable de conflits, entre les différents syndicats et le gouvernement. Tel est le cas de la retraite, promue chez nous au rang de sujet de conversation favori, juste après le temps qu’il fait. Avec une dimension quasi-métaphysique, si l’on en croit ce mot de l’écrivain George Mikes qui résume assez bien le sentiment britannique à notre égard : « Pour tout Français, la retraite est le but ultime de l’existence ». La formule se veut vacharde, bien qu’elle ne soit pas dénuée d’à-propos. Mais il serait honnête d’observer qu’elle s’applique probablement à nombre de salariés de ce bas monde, qui partagent la même affliction : leur emploi ne leur procure que peu de satisfaction, voire pas du tout. Ce constat confère une certaine pertinence à ceux des intervenants aux négociations qui tiennent ce raisonnement paradoxal : les solutions aux problèmes de retraite se trouvent dans le travail. Il n’est pas impossible que l’idée soit plus pertinente qu’elle n’y paraît à première vue.

En fait, la structure de notre principal système de retraite constitue le terreau de chamailles éternelles. Car la répartition présente un fonctionnement singulier : en contrepartie de ses cotisations et de celles de son employeur, le salarié acquiert des droits à pension individualisés. Sauf que ces droits sont assez mal nommés : il s’agit plutôt de promesses de droits, car leur financement sera assuré par les salariés en activité au moment du service des rentes. Si bien qu’il n’y a pas nécessairement une stricte proportionnalité entre les cotisations versées et la retraite servie, contrairement au système par capitalisation qui est à l’origine des caisses de pensions (1850 en France pour les cheminots, 1894 pour les mineurs). On notera au passage que c’est au gouvernement de Vichy que l’on doit l’instauration d’un système généralisé et obligatoire de protection sociale, assorti d’un système de retraite par répartition : le pétainisme survit dans la Sécu…

Un ajustement popote

La répartition fonctionne donc sur le principe de la solidarité intergénérationnelle, et c’est là son principal défaut : la solidarité est le sentiment le moins bien partagé dans nos sociétés. Comme les rentes sont directement prélevées sur les actifs du moment (et leurs employeurs), les intérêts des parties prenantes sont rigoureusement opposés. Ainsi, pour équilibrer les comptes du régime, il n’y a pas une infinité de solutions. Et c’est là que les problèmes commencent : les retraités redoutent l’érosion de leurs pensions, les entreprises et les salariés appréhendent la hausse de leurs cotisations, et l’Etat préfère ne pas être appelé en comblement de déficit, ayant lui-même à assumer le service des retraites à ses fonctionnaires. Car pour corser le tout, notre système comporte pléthore de régimes spéciaux, d’aucuns étant sensiblement plus généreux que le régime général : ce qui encourage leurs bénéficiaires à protester vigoureusement contre les projets d’uniformisation.

La gestion de la répartition repose sur un ensemble d’équations assez simple : la démographie des pensionnés (prévisible sur une longue période, avec une bonne précision statistique) et les droits acquis par ces derniers, aisément calculables. Il suffit alors de prélever le pourcentage ad hoc sur les revenus d’assiette, et le tour est joué. Avec, le cas échéant, quelques ajustements, en rognant un chouïa les rentes ou en allongeant un tantinet la durée de cotisation. Ainsi, en panachant tous les instruments disponibles, c’est-à-dire en faisant contribuer tout le monde, le Gouvernement a obtenu l’aval des syndicats sur le toilettage proposé, supposé amener le régime à l’équilibre d’ici quelques années - ou un peu plus tard, par un prochain réglage. Quelques commentateurs ont brocardé le caractère peu imaginatif de la solution adoptée ; elle est certes sans génie, mais on voit mal comment inventer de nouveaux leviers. D’autres ont salué « l’habileté » du Premier ministre ; c’est tout aussi incongru, car le choix s’inscrit dans le strict respect du principe de solidarité (chacun participe). Ce n’est pas habile, c’est plan-plan. Mais l’option fonctionnera, sous réserve que l’assiette des cotisations – les revenus du travail – évolue conformément aux prévisions. Là résident, on s’en doute, les plus gros risques de dérapage. D’abord, parce que la déprime actuelle pourrait durer plus longtemps que ne l’anticipent les statisticiens ; ensuite parce que l’offre globale de travail tend à se réduire, notamment sous l’effet de la mécanisation accélérée de nombreuses tâches, leurs anciens titulaires se retrouvant inemployables pour des activités plus spécialisées. Tel est déjà le cas selon le constat de Pôle Emploi : il n’existe aucune offre pour des cohortes entières de leurs « clients ».

C’est là que l’on revient à la réflexion initiale sur le travail. Et au fait que l’évolution des modes de production (de biens et de services) s’accompagne d’une moindre mobilisation de personnel. Ainsi, un jour prochain, il faudra bien en arriver à dissocier le revenu indispensable à tout individu de la rémunération qu’il tire de son travail (ou de sa pension). Et explorer la voie ouverte par Thomas Paine au XVIIIème siècle, avec la proposition du « revenu de base » - une sorte de SMIC servi par l’Etat à tout citoyen, jusqu’à sa mort. Une approche qui autoriserait le travail choisi, et des salaires bien inférieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui, pour le plus grand bénéfice de la compétitivité. Même les Suisses y réfléchissent ; autant dire qu’il ne s’agit pas d’une billevesée.

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