Sébastien Olharan (Breil)

Sébastien Olharan (Breil) : "il faut des dispositifs simples pour aider les communes"

Rencontre avec Sébastien Olharan, maire de Breil sur Roya.

Des habitants ont-ils quitté le village après la catastrophe ?

- Une trentaine a trouvé des solutions provisoires de relogement sur le littoral. Je sais que, pour la grande majorité d’entre elles, le souhait est de revenir vivre à Breil. Mais encore faut-il qu’il y ait des possibilités de logement... Souvent, elles sont encore en attente de réponse pour savoir si elles vont pouvoir continuer à habiter dans le secteur où elles étaient établies auparavant. D’autres attendent de savoir si leur bâtiment pourra être sauvé et réparé, ou s’il a été trop impacté et devra être détruit.

Et pour les entreprises ?

- Un grand nombre a été sinistré, en particulier tous les commerces qui se trouvaient sur le boulevard Rouvier et sur les deux places principales dans le centre du village.
À l’exception d’un commerce ayant fermé définitivement, tous les autres ont l’intention de reprendre leur activité. Deux ont déjà redémarré, d’autres feront des travaux pour leur réouverture au plus tôt. Tous n’ont pas le même niveau de dégâts, et tous n’ont pas la même facilité avec leur assurance.
Dans l’ensemble, il y a une volonté des habitants de revenir, et des commerces de reprendre, je suis à peu près rassuré sur ces points.

Quel impact selon vous sur le tourisme, la principale activité ?

- Pour l’instant, nous ne nous en rendons pas encore vraiment compte. On le verra surtout cet été, mais il sera forcément très fort puisque l’on a perdu une partie de nos attraits touristiques : l’accès de la vallée des Merveilles par Castérino, celui sur Limone et le Piémont par le tunnel de Tende, la clue de la Maglia, entièrement dévastée, qui attirait plusieurs dizaines de milliers de personnes chaque année. Nous avons donc perdu de notre potentiel, mais aussi de nos capacités d’hébergement, avec la disparition d’environ 80% des places d’accueil touristique. Le camping municipal a été dévasté, il représentait plus de la moitié de notre capacité avec 37 emplacements de tentes, dix chalets de six places, un bungalow de quatre places. Un motel a été détruit, un hôtel est sous le coup d’un arrêté d’évacuation car son bâtiment est fragilisé.
À ce jour, il ne nous reste qu’un seul hôtel sur les quatre grosses structures d’hébergement touristiques dont nous disposions, ainsi que quelques gites et locations Airbnb.

Et le lac qui a disparu...

- Il est vide car son barrage a subi des dommages, pas très importants mais tout de même, et des travaux ont été réalisés en urgence pour nettoyer le lit de la Roya encombré de débris. Il a donc été nécessaire de détourner le cours d’eau dans les déversoirs de crue. Mon souhait est que l’on retrouve le lac le plus rapidement possible. EDF et le SMIAGE ont été sensibilisés. J’ai bon espoir d’un "retour" avant l’été.
Le lac fait partie de l’image de Breil, il est un élément d’attractivité. Psychologiquement le voir revenir aura un impact très positif pour les populations.

Le train, la poste, la banque fonctionnent. Y a t-il encore des attentes à satisfaire ?

- Il n’y a plus de besoins en termes d’aide alimentaire, d’eau et de première nécessité comme ce fut le cas dans un premier temps. Maintenant, les besoins sont plus coûteux et plus difficiles à satisfaire.
D’abord en terme de visibilité : dans les secteurs qui ont été touchés, les gens ont besoin de savoir s’ils peuvent continuer d’y vivre. S’ils doivent démolir ils ne peuvent pas se faire indemniser par les assurances pour
reconstruire. S’ils ont le droit de rebâtir, ils faut qu’ils le sachent pour que ça leur permette d’avancer. Je suis très sollicité par les administrés qui attendent le "porter à connaissance de la préfecture". Sur cette question, je réponds "non pas encore mais cela ne devrait plus tarder".

La circulation reste t-elle encore une grosse difficulté ?

- Les gens me sollicitent aussi beaucoup sur le désenclavement de Breil. Des secteurs l’ont été de façon provisoire, avec des passages busés qui remplacent les ponts emportés, mais ce sont des aménagement qui restent assez précaires. Nous allons installer un pont de secours "Bailey" quartier de Veille, nous trouverons une autre solution pour l’autre pont communal détruit. Le gros point reste la route de Vintimille et le pont de Perthus sur cet axe. Le Département fait des travaux importants, mais il y en a bien encore pour six mois. Nous retrouverons heureusement une route "définitive" pour le début de l’été.

Et pour la vie sociale ?

- Les gens attendent aussi la reprise de la vie locale, culturelle, associative, sportive. Si elle est ralentie partout en France par la pandémie, à Breil, nous avons en plus perdu toutes nos infrastructures et nous aurons de très gros investissements à lancer. Pour vous donner une idée, uniquement sur le patrimoine communal, les bâtiments et ce qu’il y avait à l’intérieur, les routes, pistes, ponts, jardins, nous avons plus de 20M€ de dégâts. C’est considérable pour une commune comme la nôtre.

La commune pourra t-elle "absorber" toutes ces dépenses ?

- D’abord, nous attendons de savoir ce que nous recevrons de l’état et des différents partenaires. Mais je pense qu’il nous restera au moins 20% de part communale.
Et même si l’on avait 100% de subventions, la difficulté serait pour nous de pouvoir avancer cet argent. Nous sommes en temps normal une commune avec peu de trésorerie.
Notre capacité d’emprunt est faible car nous avons une dette de 4,3 M€ pour un budget de fonctionnement de 3,3 M€. Il faudrait donc que des aides exceptionnelles entrent directement dans la trésorerie communale pour que l’on puisse engager ces fonds rapidement.

Avez-vous l’impression de recevoir une bonne écoute ?

- Oui, chaque collectivité a été bien mobilisée, chacune dans son rôle, le Département pour les routes, la Région pour le rail, la CARF pour les réseaux eau et assainissement et travaux sur les cours d’eau. Et l’état aussi, avec le préfet Pelletier spécialement nommé pour les vallées et qui est très investi et a pris rapidement à bras le corps tous les dossiers. Nous plaçons beaucoup d’espoirs en lui pour débloquer les situations car nous voyons que nous avons en France un état extraordinairement bureaucratique. Il faut des dispositifs simples au lieu d’usines à gaz pour verser directement les aides aux communes. Sinon, il sera très difficile pour nous d’avancer...

Breil-sur-Roya : chronique d’une renaissance

À Breil, des "quais" ont été aménagés en urgence le long de la Roya. DR JMC

Lorsque le train venant de Nice arrive en gare de Breil-sur-Roya, ses passagers ont comme premier contact le triste spectacle des dizaines de carcasses des voitures charriées par le fleuve en colère. Elles ont été stockées au bout des quais, dans l’attente de leur prochaine évacuation.
Trois mois et demi après le passage d’Alex, les stigmates de la catastrophe sont toujours bien présentes dans le paysage, avec le parapet du pont Charabot emporté, ce qui laisse imaginer à quelle hauteur est monté le fleuve en colère. Il y a aussi le lac d’agrément disparu, le chapiteau défoncé, les traces bien visibles laissées par les tractopelles qui ont réaménagé les berges dans l’urgence pour protéger les maisons situées "derrière"...
Mais, dans ce bourg de 2 200 âmes, si l’on n’oublie pas cet apocalypse, le courage des habitants fait qu’aujourd’hui la vie reprend ses droits. Petit à petit. Les Breillois regardent, malgré tout, vers l’avenir, conscients des difficultés encore à venir.

Du provisoire

Le marché du mardi attire les habitants de la vallée : la vie reprend ses droits. DR JMC

Un mardi, par un petit matin frisquet. Des marchands ont installé leurs étals sur la place au pied de la chapelle Sainte Catherine. Des acheteurs emmitouflés viennent y faire leurs provisions de primeurs parce que l’épicerie toute proche est encore fermée. Son rez de chaussée a été envahi par une coulée de boue qui a ravagé ses rayonnages. "Elle va rouvrir au printemps" croit savoir une dame. Tout ce secteur a été submergé, anéanti. Ce marché qui reprend vie est comme un pied de nez au destin.
Un peu plus loin, l’on vend des vêtements, chauds. Parce la neige est toute proche, recouvrant les sommets environnants. En face, de l’autre côté de la Roya, le bureau de poste a été noyé. Une entreprise spécialisée est montée de Nice pour enlever à l’intérieur une couche de boue de 1,50 mètres d’épaisseur. En attendant, les postiers se sont installés dans un autre local près des courts de tennis et du boulodrome (intacts). À côté, une "agence" provisoire et un distributeur de billets du Crédit Agricole ont trouvé à s’abriter dans des baraquements préfabriqués sur un coin de parking.

"Take away"

Dans l’étroite rue Pasteur, quelques commerces - forcément très essentiels - sont en activité. Il y a la "Maison des producteurs" qui vend les fromages, miels, tisanes et viandes d’une vingtaine d’agriculteurs et éleveurs installés la vallée. À deux pas, "La bonne Auberge" qui, comme son nom l’indique, prépare des plats chauds à emporter (filet mignon de porc et pâtes à 8€). Et aussi le petit bureau d’une compagnie d’assurances (qui ne manque pas de travail), la boulangerie-pâtisserie, un caviste (Dieu merci !) proposant ses bonnes bouteilles. Il y a aussi un marchand de journaux qui vend du café, une pizzeria en "take away", une supérette, un marchand de matériels agricoles, une agence immobilière (fermée). Ici, les restrictions sanitaires s’ajoutent bien sûr aux désordre de la tempête.
Les efforts des collectivités locales, de l’état et des services publics ont permis de rétablir aussi vite que possible les routes, réseaux d’eau, l’électricité et les communications. Grâce aux commerçants, à La Poste, la banque, la SNCF (huit allers et retours par jour sur Nice, gratuité totale pour les passagers), la vie reprend ses droits. Les gendarmes patrouillent toujours ostensiblement en ville et à la gare : pour eux comme pour les migrants, il n’y a ni avant ni après Alex.
Le maire, Sébastien Olharan, a présenté ses vœux "en présentiel", juste avant le nouveau couvre-feu. Lent retour à la normale.

Photo de Une DR

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