UE : un sommet animé

UE : un sommet animé

La Libye a constitué le plat principal du dernier sommet des 27, le 24 mars. Un gros morceau, source de multiples divergences. Mais la crise politique au Portugal s’est imposé en hors d’œuvre inattendu. Et épicé. Car ni le gouvernement sortant de Lisbonne, ni son probable successeur ne veulent bénéficier de « l’aide » européenne. Choquant…

« Aide-toi, ou l’UE t’aidera ».

Telle est en substance la recommandation, en forme de menace, que le Premier ministre portugais avait adressée à chacun de ses concitoyens. Le Parlement a répondu à la place de ces derniers : non au plan d’austérité. En foi de quoi José Socrates a logiquement démissionné, sur un constat sombre et assurément prophétique : « Une crise politique, en ce moment, aura des conséquences gravissimes sur la confiance dont le Portugal a besoin auprès des institutions et des marchés financiers ». Encore que le destin des Portugais soit scellé depuis des mois et que les marchés n’accordent plus une once de « confiance » à ce pays. Ce n’est d’ailleurs pas leur problème : ils spéculent en ce moment sur le niveau de défiance qu’il convient d’attribuer à Lisbonne. Car les choses se présentent à-peu-près comme suit : ou bien les Portugais se serrent volontairement la ceinture (baisses des salaires des fonctionnaires, baisse des transferts sociaux, hausse des impôts) afin de crédibiliser la solvabilité du pays et ainsi pouvoir s’abreuver au marché des capitaux ; ou bien ils refusent et ils seront contraints de se serrer la ceinture (baisse des salaires, etc), sous le martinet de l’Union. Non, ce n’est pas la même chose : dans le deuxième cas, ils perdront toute souveraineté budgétaire. Ils se retrouveront sous tutelle de la Commission, se feront étriller jusqu’au sang et seront considérés comme des peigne-culs. Voilà qui illustre, une fois encore, cette pertinente antienne de Jacques Rueff : « C’est par les déficits que les hommes perdent leur liberté ».

Sur le papier, l’avenir des Portugais se résume ainsi à ce choix dostoïevskien : le knout avec honneur, ou le knout dans l’indignité. Les parlementaires lisboètes ont préféré botter en touche : ils ne veulent pas endurer la souffrance, ni aliéner leur fierté. On les comprend, bien sûr. Mais dans le restaurant communautaire, le menu fromage et dessert, plus pousse-café et havane, n’est accessible qu’aux Allemands – trop parcimonieux pour engager cette dépense somptuaire : ce pourquoi ils sont plus riches que les Portugais… Reste toutefois une troisième voie, dont les éminences font mine d’ignorer l’existence : le bras d’honneur au FMI, à la Commission, à la BCE et aux créanciers. L’exaspération et la colère populaires peuvent conduire à des actes que l’on qualifie de « regrettables » dans la langue diplomatique. Mais que leurs auteurs ne parviennent pas forcément à regretter, même si le prix est lourd à payer…
Lisbonne à la dérive

Ainsi donc, lors du récent sommet des 27, l’UE s’est déclarée prête à « aider le Portugal ». Sous conditions, bien entendu. La première étant que le pays en fasse expressément la demande. Or, c’est en qualité de Premier ministre démissionnaire que José Socrates était présent à ce sommet : il ne représentait donc qu’un courant d’air. Cela dit, il semble que s’institutionnalise en Europe une pratique inédite dans l’histoire du monde : la gouvernance sans gouvernement. La Belgique a perdu le sien de puis de longs mois, ce qui n’a pas empêché le pays de s’engager dans un conflit armé contre la Libye. Il s’agit là d’un véritable saut quantique de la jurisprudence dans le droit international, qui ne présage rien de bien réjouissant. En attendant, l’Union fait la danse du ventre devant Lisbonne pour l’encourager à demander l’aide qui doit la sauver. Pendant que le gouvernement sortant affirme qu’il « continuera à lutter de toutes ses forces contre l’éventualité d’un recours à une aide extérieure » et que l’opposition, par la voix du probable futur Premier ministre, rappelle que les démissionnaires n’ont aucune légitimité pour négocier une aide quelconque.
Au vu du temps minimum nécessaire pour lancer de nouvelles élections, on se demande comment le Portugal va assurer ses fins de mois, sauf à solliciter les (nombreux) usuriers de la planète. Car dans le même temps, la cote boursière de la dette portugaise continue de faiblir, sur le même mode que celle de la Grèce et de l’Irlande, pourtant « sauvées » par les concours du Fonds de stabilité européen. Ce qui signifie que tout nouveau financement ne peut se réaliser qu’à prix d’or et fragiliser un peu plus l’emprunteur.

Les marchés ont donc parfaitement intégré la probabilité élevée d’un défaut de paiement. Pourquoi les décevoir en lanternant ? Une série de défauts aurait l’avantage de clarifier enfin la situation, en obligeant les détenteurs de créances à ajuster leurs bilans avec la réalité. Certes, beaucoup ne résisteraient pas à un tel choc. Mais puisque nous sommes encore dans l’économie de marché et donc toujours dépendants de la « destruction créatrice » schumpétérienne, on se doit de postuler qu’une procession de faillites aurait la vertu de nettoyer le terrain de tous ses arbres moribonds. Et ainsi de permettre l’émergence de « jeunes pousses », celles qu’Obama, du haut de son statut de premier jardinier des Sates, avait déjà vu poindre il y a presque deux ans. Sans doute n’ont-elles pas résisté aux gelées tardives. A moins que le Président américain n’ait été victime d’une illusion. Il ne serait pas le seul dans ce cas.

Par Jean-Jacques JUGIE

deconnecte