Une croissance de 1,2%

Une croissance de 1,2% en 2015

[Conjoncture] Pour la première fois depuis 2011, l’Insee parle de « reprise ». Les ménages alimentent l’essentiel de ce début de croissance, mais les entreprises ne devraient pas tarder à leur emboîter le pas. A condition toutefois qu’une sortie de la Grèce de l’euro ne gâche pas tout.

Revoilà la croissance.

Dans la salle anonyme au rez-de-chaussée du bâtiment austère de l’Insee, à proximité du périphérique parisien, il flotte, ce jeudi 18 juin, un air incongru d’optimisme.

Le titre de la note de conjoncture de l’institut de statistiques fait pourtant dans la sobriété : « La reprise se diffuse dans la zone euro ». En France, le taux de croissance pour 2015 atteindrait 1,2%, ont calculé les conjoncturistes. Il n’en faut pas davantage pour que le ministre des Finances, Michel Sapin, se félicite dans un communiqué : « la France est clairement rentrée dans une phase de reprise de l’activité ».

Un taux de 0,3% ou 0,4% par trimestre, comme le prévoit l’Insee d’ici la fin de l’année, ce n’est certes « pas exceptionnel », reconnaît Vladimir Passeron, chef du département de la conjoncture à l’Insee. Avec de tels chiffres, « il y a dix ans, on n’aurait peut-être pas parlé de reprise », admet-il. « Mais par rapport à ces trois dernières années, c’est positif ».

La zone euro s’en sort bien

La croissance annoncée s’inscrit dans un climat plus général. « Dans la zone euro, la reprise s’est poursuivie, alors que les pays anglo-saxons ont rencontré un trou d’air », observe Vincent Alhenc-Gelas, en charge de la synthèse « environnement international ». Les pays qui partagent la monnaie européenne seraient presque les seuls à tirer leur épingle du jeu. Aux Etats-Unis, l’hiver froid, la grève des dockers et les faibles investissements dans le secteur pétrolier, consécutifs à la baisse du prix des hydrocarbures, ont pesé sur la croissance. En Russie et au Brésil, une récession est annoncée pour 2015. En Chine, l’investissement privé connaît quelques ratés. Depuis 2013, le climat des affaires est plus élevé dans les « pays avancés » (comprendre « riches ») que dans les « pays émergents ».

Dans la zone euro, le « climat des affaires », calculé en fonction des réponses d’un panel de chefs d’entreprises à quelques questions sur leur activité, se redresse régulièrement depuis la mi-2013. La dépréciation de la monnaie, certes stoppée depuis quelques mois, contribue toujours à soutenir les exportations. Parallèlement, le prix du pétrole ne remonte pas encore suffisamment pour inquiéter la demande intérieure. En clair, quand le carburant n’est pas trop cher, on en brûle davantage.

Les principaux pays partageant l’euro bénéficient de cette embellie. L’Espagne est devant, avec plus de 3% de croissance annoncés en 2015, suivie par l’Allemagne, la France et l’Italie, où la reprise est encore poussive. Pour le moment, en France, l’activité économique demeure surtout le fruit de la consommation des ménages. Cela tient parfois à un détail. « Le retour à la normale des dépenses de chauffage, après un automne doux », dope la production d’énergie, observe l’Insee. Quoi qu’il en soit, en 2015, le pouvoir d’achat moyen aura bondi de 1,4%, après une hausse de 0,7% l’année précédente.

L’emploi suivrait la croissance

Mais dans les prochains mois, les conjoncturistes s’attendent à ce que « les dépenses d’investissement des entreprises prennent le relais de la consommation des ménages », indique Vladimir Passeron.
Les chefs d’entreprise ne se montrent pas aussi pessimistes que ces dernières années. En mai, le marqueur du « climat des affaires » a atteint 103, pour un indice de référence fixé à 100. Un chiffre qui semble modeste, mais « c’est un niveau inédit depuis mai 2011 », observe Laurent Clavel, en charge de la « synthèse conjoncturelle ». Jusqu’à présent, les industriels affichaient un optimisme plus enjoué que les chefs d’entreprise opérant dans les services, le bâtiment ou le commerce de détail. Mais désormais, le « climat » se réchauffe aussi dans les autres secteurs.

La politique monétaire de la Banque centrale européenne n’y est pas pour rien. En maintenant les taux à un bas niveau, Francfort facilite le recours au crédit. En France, les aides gouvernementales contribuent également à cet enthousiasme. Selon l’Insee, la montée en charge du « crédit d’impôt compétitivité emploi » (CICE) et du pacte de responsabilité assurent une bonne partie de la reprise de l’activité. L’investissement est en train de suivre, à tout le moins dans l’industrie et les services. En revanche, l’investissement des ménages, en particulier les achats de logements individuels, continuerait à reculer fortement, à peine moins qu’en 2014. Dans la plupart des régions, le temps de la bulle immobilière est révolu.

L’emploi devrait finalement bénéficier de cette embellie, assure l’Insee. Pour la première fois depuis l’accession au pouvoir de François Hollande, l’emploi marchand, qui résulte de l’activité économique et non des décisions d’embauche des pouvoirs publics, devrait même constituer la majorité des créations d’emploi, au deuxième semestre de 2015. « On devrait compter 40 000 emplois marchands supplémentaires en 2015, alors qu’en 2014, on en avait répertorié 45 000 de moins », note l’économiste Laurent Clavel. L’Insee évalue à 80 000 le nombre d’emplois créés, au total, grâce au CICE. Mais un éventuel « retournement de la courbe » ne serait perceptible qu’à condition que des chômeurs quinquagénaires renoncent à chercher un emploi. La reprise n’est pas là pour tout le monde.

Le vent d’optimisme qui gonfle les voiles du gouvernement pourrait en outre retomber.

En langage de conjoncturiste, on appelle ça « aléa ». L’Insee en a repéré plusieurs.

Ainsi, pour le moment, « la tension sur l’appareil productif demeure limitée », indique Laurent Clavel. En d’autres termes, malgré une consommation soutenue et un optimisme revenu, les machines ne se sont pas remises à tourner à plein. L’autre aléa concerne évidemment la Grèce. Si les institutions financières et le gouvernement d’Alexis Tsipras ne parvenaient pas à trouver un accord sur des réformes pérennes, la sortie du pays de la zone euro se préciserait, avec son cortège de défiance des épargnants, de fuite des capitaux et de déstabilisations.
Un cauchemar. Mais pour l’Insee, ce n’est apparemment pas le plus probable : « dans le scénario retenu, nous n’envisageons pas d’altération monétaire », disent placidement les conjoncturistes.

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