Urgence sanitaire, état

Urgence sanitaire, état d’urgence : les institutions mises à l’épreuve

Comment juguler la crise sans (trop) porter atteinte aux libertés ? Un exercice subtil, qui demande de la pédagogie, du "tact et de la mesure"...

Avec déjà plus de mille morts en France depuis le début de l’épidémie, l’état d’urgence sanitaire ne fait pas de doute, et ce d’autant moins que les médecins sont les premiers à réclamer un confinement encore plus drastique de la population. Mais cet état d’urgence décidé par les députés à l’Assemblée nationale, en comité restreint, à l’aube ce dimanche après une nuit de débats, et les "couvre-feux" arrêtés par des maires et des
préfets ne manquent pas de créer de l’inquiétude chez certains de nos compatriotes qui craignent de voir nos libertés individuelles menacées par une série de mesures exceptionnelles, encore une fois justifiées pour limiter la propagation du virus.

Un précédent

Après les attentats des terrasses en 2015, François Hollande et le gouvernement de Manuel Valls avaient déjà instauré un état d’urgence dont les effets se sont étalés sur une période de deux mois. Si cette mesure a donné des moyens supplémentaires à la police pour mener ses enquêtes, elle n’a à l’évidence pas "dérapé", ne provoquant finalement que peu de gêne dans nos activités du quotidien. Les seuls "innocents" à s’en plaindre furent des quidams tirés du lit par des commandos qui s’étaient trompés de porte...
L’état d’urgence sanitaire voté ce week-end permet au Premier ministre, sur proposition du ministre de la Santé, de prendre immédiatement des mesures s’appliquant à l’ensemble du territoire national : restrictions de circulation, interdiction de se
réunir, possibilité de réquisition de tous biens et services nécessaires afin de lutter contre la
catastrophe sanitaire etc. Rien de nouveau par rapport au début du confinement. Depuis dimanche, les préfets peuvent aussi par exemple réquisitionner les taxis pour transporter les personnels hospitaliers entre leur domicile et leur lieu de travail.

Une concorde nécessaire

Ce qui change vraiment, c’est le durcissement des sanctions envers ceux qui ne respectent pas le confinement : l’amende qui était de 38 euros il y a dix jours a été portée à 135 euros. Elle sera boostée à 1 500 euros en cas de
récidive et même 3 700 euros et six mois de prison "pour quatre violations dans les trente jours".
Si un climat d’union nationale a prévalu pendant les discussions à l’Assemblée, Édouard Philippe appelant "à la mobilisation et à une concorde exceptionnelle" en ces circonstances, plusieurs députés de l’opposition ont tout de même souligné un "champ des restrictions des libertés publiques beaucoup trop large" et trop de possibilités de dérogations à l’état de droit "ordinaire". Parmi les points de friction, les conditions du report du second tour des élections municipales et les congés payés imposés aux salariés...

Avec le prolongement du confinement, nous n’en sommes qu’au début d’une situation exceptionnelle. Si, et c’est heureux, les services de l’état continuent à être assurés avec des aménagements (fonctionnement de la Justice par exemple), les discussions sur les mesures à mettre en œuvre sont parfois serrées entre l’Exécutif et le Sénat. Souvent remise en question, la chambre des Sages montre en la circonstance toute son utilité pour un fonctionnement démocratique, assurant une sorte de contre-pouvoir légitime.

Les grandes lignes de l’état d’urgence

La loi n° 55-385 du 3 avril 1955 fixe les conditions de l’état d’urgence "qui peut être déclaré sur tout ou partie du territoire (...) en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique".
L’Assemblée et le Sénat "sont informés sans délai" des mesures prises par le gouvernement pendant l’état d’urgence qui donne pouvoir au préfet "dans le but de prévenir des troubles à la sécurité et à l’ordre publics".

Couvre-feu

Le couvre-feu a été imposé en France par l’occupant pendant la guerre. il a aussi été instauré pendant la guerre d’Algérie mais pas pendant les événements de mai 68. Il a encore été utilisé en novembre 2018 à La Réunion, lors de blocages organisés par les gilets jaunes. Depuis une vingtaine d’années, des couvre-feux ont été mis en place par des arrêtés municipaux visant les mineurs de moins de 13 ans, comme lors des émeutes de 2005 dans les banlieues, en vertu du décret de l’état d’urgence.
Dans les A-M, le préfet a pris un couvre-feu en complément de ceux déjà signés par les maires de Nice, Vallauris Golfe-Juan, Menton, Roquebrune-Cap-Martin, Mougins.

Visuel de Une : Édouard Philippe, chef d’état major d’un pays "en guerre", ci-dessus lors d’une visite à Nice (DR JMC)

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