USA : l'empire se déchire

USA : l’empire se déchire

Les étoiles de l’Oncle Sam pâlissent. La propagande éhontée sur son rétablissement ne parvient plus à masquer sa déliquescence économique et politique. Même les financiers yankees se mettent à spéculer contre leur propre pays. Les temps à venir nous promettent assurément les grands désordres depuis longtemps annoncés…

Chaque langue de la planète comporte ses mots tabous. Surtout dans le discours politique. L’un d’entre eux doit être soigneusement évité dans tous les sabirs mondiaux, mais ne peut être prononcé aux Etats-Unis sans déclencher une panique luciférienne : ce mot, c’est « austérité ». Pourtant, rares sont les Etats qui peuvent aujourd’hui échapper à la parcimonie, certains d’entre eux ayant même été sommés d’engager des plans qui relèguent l’austérité ordinaire dans la catégorie des délices de Capoue. Telle la Grèce, qui suit encore rigoureusement les prescriptions de ses créanciers, publics ou privés, et accumule chaque jour de nouvelles souffrances. S’approchant ainsi du moment où elle devra demander grâce à ses prêteurs et déclenchera la première salve des défauts souverains d’Europe. Le « haircut », c’est-à-dire la tonte des créanciers, pourrait être sévère : au moins 50% des encours. Et peut-être plus, selon les calculs de certains analystes. Mais enfin, puisque les Athéniens sont menacés de clochardisation, autant qu’ils le fassent à la façon de leur illustre ancêtre Diogène de Sinope, afin de préserver crânement leur dignité. Inutile de rappeler ici qu’un tel scénario est totalement évacué, comme étant irréaliste, par toutes les sommités de l’Union européenne. Dont le Président en titre, l’irremplaçable Herman van Rompuy, a superbement synthétisé le point de vue lors de sa récente visite à la capitale grecque : « Je n’ai aucun doute que la Zone euro sortira plus forte et unie de cette crise » a-t-il déclaré, abusant pour l’occasion de son légendaire humour de paillasse.

La Commission et la BCE font tout leur possible, et même au-delà, pour prévenir un tel collapsus, dont on rappelle ici, pour la énième fois, qu’il est pourtant inévitable : il sera nécessaire de constater qu’au sein de la masse monstrueuse de crédits en suspens, une bonne part ne peut, et ne pourra jamais, être remboursée. Voilà qui laisse augurer des moments douloureux pour les banques, bientôt soumises à de nouveaux stress tests. A moins que les gardiens du temple ne se montrent miséricordieux à l’égard de leurs ouailles pécheresses, et ne maquillent leurs confessions de façon à retarder leur chute dans l’enfer de la faillite. Mais la fiction de la solvabilité bancaire ne pourra durablement résister au jugement moins bienveillant des marchés, où la meute se montre féroce à l’égard de l’animal blessé.

L’Amérique ruinée

Mais revenons chez l’Oncle Sam, dont les statistiques récentes font dire aux économistes qu’il se remet gaillardement de ses embarras passés. Ce que ne confirme pas vraiment la montée du nombre de citoyens ayant recours à l’assistance alimentaire. Ni l’état inquiétant des finances fédérales (un déficit de plus de 10% du PIB et une dette de plus de 100%), s’ajoutant à la situation calamiteuse des Etats fédérés. Ni le cours international du dollar, qui dérive sur les flots de la création monétaire massive de la FED. Le discours officiel, consciencieusement relayé par les grands médias, tente de faire accroire que le printemps du retour « à la normale » a pointé son nez aux Etats-Unis. Disons-le crûment : il s’agit-là d’une propagande de bastringue. Le désordre s’accroît désormais sur le terrain politique, où les factions durcissent leurs positions maintenant qu’approche l’échéance présidentielle. Obama a dû effectuer une spectaculaire reculade face à ses adversaires, pour éviter que l’administration centrale ne soit paralysée en l’absence de vote du budget. Il est acculé à engager des coupes sombres dans les dépenses fédérales, c’est-à-dire à apostasier tous les principes qu’il a défendus jusqu’à ce jour – et l’épreuve de force continue. Pour autant, son programme de restrictions budgétaires se révèle ridiculement homéopathique face à l’ampleur de l’endettement étasunien. Mais le processus est enclenché : la première puissance du monde a reconnu sa fragilité financière, au point même de devoir tempérer son ardeur habituelle de va-t-en-guerre sur le front africain – une « odyssée » caractéristique de l’interventionnisme insensé des puissances occidentales, susceptible de sonner l’hallali de leur ancienne domination.

Même au sein de l’establishment financier yankee, conscience est prise de la chute annoncée des States : Bill Gross, le CEO de Pimco (numéro 1 mondial de la gestion obligataire), avait annoncé, en février dernier, avoir liquidé la totalité de ses bons du Trésor américains, marquant ainsi une défiance maximale à l’égard de la solvabilité des Etats-Unis. Il vient d’accomplir un pas supplémentaire dans la défiance, en « shortant » massivement ce même papier, c’est-à-dire en le vendant… à découvert ! Un grand financier américain spécule contre son propre pays et le claironne : c’est tout simplement stupéfiant. Voilà qui corrobore les analyses de longue date du Laboratoire européen d’anticipation politique , confirmées dans son dernier bulletin mensuel. Selon le Leap, la fin prochaine du QE2 (deuxième épisode de « quantitative easing », c’est-à-dire d’intense activité de la planche à billets), donnera le signal d’une nouvelle dégringolade du dollar (avec, selon ces prévisionnistes, un potentiel de baisse de 30% par rapport aux autres grandes devises). Inutile de rappeler ici qu’un tel contexte est de nature à produire des dommages collatéraux considérables, ceux qui caractérisent ordinairement la chienlit. Pendant que les élites s’agitent dans un ballet désordonné sur une chorégraphie absurde, l’« ancien monde » est pris de convulsions. On ne sait si son agonie sera longue. Mais elle sera probablement douloureuse.

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