Vallées - Routes, ponts,

Vallées - Routes, ponts, maisons... : prendre le temps de rebâtir durablement

Pour le préfet en charge de la reconstruction des vallées Xavier Pelletier, la reconstruction ne sera résiliente que si elle se donne le temps de l’analyse. Au-delà des indispensables études, il compte sur l’implication de la population.

Quels sont les chiffres des dégâts ?
- Il faut retenir ces chiffres qui témoignent bien de la violence singulière de l’événement météo qui a frappé les Alpes-Maritimes : une centaine de kilomètres de routes, de réseaux (eau, électricité, assainissement...) emportée ; une trentaine de ponts détruits ; plus de 400 maisons impactées. Sur ce point, qui touche au plus intime des habitants, l’État a toujours eu comme priorité de veiller à ce qu’ils soient toujours en sécurité et qu’aucune vie ne soit exposée. C’est ce qui a amené le préfet à mettre en place très rapidement une cellule bâtimentaire à la DDTM qui a procédé à des expertises des maisons, des immeubles avec une méthode innovante basée sur l’expertise des situations post sismiques. Cette task force a procédé, avec des binômes d’experts composés de spécialistes de la DDTM, du SDIS, d’architectes..., à l’analyse de plus de 2 500 bâtiments. Ils ont réalisé un travail considérable en des temps record. Aujourd’hui, avec l’aide d’un cabinet d’experts, le travail se poursuit et s’affine pour permettre aux maires de confirmer ou lever les arrêtés de police générale et permettre ou pas aux habitants de se réinstaller dans leur logement.
Il faut souligner, dans le traitement de ce désastre, l’extrême réactivité de l’État qui a instruit et reconnu l’état de catastrophe naturelle dans des temps très courts. C’est important de le dire au regard des enjeux et du travail qui a été fait pour que les procédures soient le plus courtes possibles.

e préfet Xavier Pelletier veut notamment redonner de l’espoir aux chefs d’entreprises. DR

Quelle est la dernière évaluation des dégâts dont vous disposez ?
- Nous sommes à ce stade sur un montant de l’ordre de 1,5 milliard. C’est colossal !

Trois mois après la tempête, pouvez-vous esquisser un calendrier de la reconstruction ?
- Il est difficile de répondre à cette question de façon globale. Certaines réalisations seront rapidement engagées ; par exemple, restaurer un pont communal partiellement détruit ; reprendre certains réseaux. En revanche, les grands ouvrages, ceux qui nécessitent de lourdes investigations en termes d’étude, d’ingénierie, comme le percement de tunnels, nous sommes sur des perspectives de plusieurs années.

Comment comptez-vous convaincre les entreprises de rester dans les vallées ?
- Notre priorité est de donner de l’espoir et des perspectives aux chefs d’entreprises. L’espoir, il se construit grâce à l’accompagnement dispensé par l’État, les collectivités territoriales et les chambres consulaires qui aident les entreprises à retrouver leur outil de production perdu, à gérer au mieux les charges, à faciliter l’acheminement des matières premières, des produits dans des vallées où la circulation est difficile... Les perspectives, les vallées en disposent à travers leurs atouts considérables tous tournés vers la qualité et l’excellence : le tourisme, le rayonnement des paysages, la faune et la flore, déjà préservées avec le Parc national du Mercantour, et les capacités d’accueil et d’activité avec les stations de sports d’hiver... Leur positionnement est également remarquable aux confins de l’Italie. La qualité de vie, la richesse de l’apaisement loin du tumulte urbain. Nous le mesurons pleinement aujourd’hui avec la crise sanitaire qui nous contraint ; il est bien agréable de vivre dans un environnement plus ouvert sur la nature. Il faut simplement favoriser et valoriser ces ressources territoriales.

Quand l’économie des vallées pourra-t-elle à nouveau compter sur le tourisme ?
- Nous pouvons espérer un retour du tourisme dès lors que la crise sanitaire sera dépassée. L’économie touristique redémarrera ensuite sachant que
l’accessibilité des vallées sera pleinement restaurée.

Saint-Martin-Vésubie en amont du Vésubia Mountain Park. DR

Les routes du Boréon et de la Madone de Fenestre seront-elles reconstruites ? Si oui, à quelle échéance ?
- Ces sujets importants doivent d’abord être évoqués avec les élus.

Le tunnel du col de Tende est-il condamné ?
- La conférence intergouvernementale franco-italienne de novembre dernier a clairement indiqué qu’il fallait reprendre les travaux du tunnel. Des solutions techniques sont à l’étude pour réparer les destructions causées par la tempête.

Quid de la ligne ferroviaire ?
- La dernière réunion de la conférence intergouvernementale franco-italienne s’est prononcée sur la réparation et la modernisation de l’axe routier (tunnel de Tende) et sur la valorisation de la ligne de chemin de fer. Des crédits seront engagés par nos deux pays.

Elle a démontré son intérêt au lendemain de la tempête. Sera-t-elle revitalisée ?
- Cette ligne ferroviaire est une ressource territoriale d’attractivité majeure pour les Français et les Italiens ! Outre l’incroyable voyage qu’elle offre, avec son "panorama saisissant", scandé par ses paysages magnifiques, ses ouvrages d’arts uniques, reflets de la noblesse des constructions qui étaient particulièrement modernes et techniquement remarquables au XIXe et au début du XXe siècle, c’est un axe transfrontalier d’échanges, une ouverture sur la Méditerranée, un cheminement de choix pour accéder à la haute vallée de la Roya et à ses trésors dont la Vallée des Merveilles, le parc du Mercantour...
C’est bien sûr une infrastructure essentielle de connexion, permettant la circulation des personnes et l’acheminement du ravitaillement pour la Roya dont le qualificatif de ligne de vie est pleinement justifié !

Les présidents de la Métropole et du Département se sont plaints de ne pas voir arriver le soutien financier promis par Emmanuel Macron. Que leur répondez-vous ?
- Nous avons la chance d’avoir des élus extrêmement investis, mobilisés pour les vallées qu’ils connaissent tous intimement. C’est un avantage ! Le versement très rapide de l’avance de 26 millions d’euros a bien montré que l’État était au rendez-vous et que l’engagement du président de la République trouvait une première réponse tangible. Il faut savoir que la reconstruction des vallées est un sujet suivi avec attention par le président et le Premier ministre. Pour bien calibrer l’aide de l’État, il faut pouvoir mesurer précisément les besoins financiers pour la reconstruction et donc le montant exact des dégâts. C’est ce que nous faisons actuellement avec les collectivités territoriales.

D’importants moyens ont été mis en œuvre pour rouvrir un accès routier dans le lit du Boréon à la sortie de Saint-Martin-Vésubie. J.P

Souhaitez-vous aborder d’autres sujets ?
- Je souhaite vous faire part de quelques réflexions. La première, c’est qu’une reconstruction de cette ampleur nécessite du temps. Le temps de l’analyse des causes, des conséquences ; nous constatons aujourd’hui quelques effets ricochets à la tempête avec des affaissements de terrain, des glissements de sols dus aux infiltrations d’eau, aux fissures qui se sont formées dans les sous-sols. Il faut donc, pour reconstruire de façon résiliente, ne pas escamoter les indispensables études qui nous permettront de rebâtir durablement.
Il faut ensuite prendre un peu de recul pour bien "penser" la reconstruction. Transformer un désastre en opportunité pour demain si je puis dire. La reconstruction des vallées doit être exemplaire, résiliente, durable et innovante. Nous devrons donner à voir une reconstruction remarquable dans son approche. Il est à mon sens indispensable de mettre en place une reconstruction cohérente, qui additionne les complémentarités des trois vallées, qui met en résonance leurs ressorts respectifs d’attractivité. Cela implique, bien entendu, une analyse des enjeux, une réflexion stratégique partagées et un schéma d’ensemble avec des aménagements qui se répondent en cohérence territoriale.
Il faudra également trouver une méthode pour associer les habitants, pour leur donner l’opportunité de s’approprier cette reconstruction et de jouer un rôle. Il serait pour le moins étrange au XXIe siècle de reconstruire sans les habitants. L’ambition n’est pas de lancer des référendums ou des sondages pour arbitrer le tracé des routes ou l’implantation des ponts ! C’est davantage une logique d’implication, d’information et de contribution.
L’innovation, la durabilité des choix seront aussi très importants. Je pense que nous devons donner à ces magnifiques vallées - merveilleux atouts maralpins - de nouveaux ressorts d’attractivité, de développement en renforçant l’équilibre des écosystèmes. Par exemple, en favorisant une agriculture aux productions tournées vers l’excellence, en capacité d’alimenter des circuits courts vers les écoles, les établissements médico-sociaux. Repenser l’agropastoralisme et son intimité aux montagnes. Ancrer des activités économiques durables, mobiliser les innovations techniques au service d’un meilleur usage de l’eau, de la mise en place de zones d’énergie autonome au bénéfice des habitants, des entreprises. Promouvoir la télémédecine et le renforcement des plateaux médicaux grâce à l’intelligence artificielle...
Il faut aussi prendre un peu de temps pour reconsidérer les circulations, les usages, l’accessibilité, afin de promouvoir ces territoires et leur qualité de vie. Il me paraît aussi intéressant de revisiter la relation avec nos amis italiens, si proches géographiquement, mais aussi culturellement, historiquement et dont les imbrications de vies sont si riches dans la Roya. Sachons-nous enrichir de leur pragmatisme et de leur enthousiasme !
Cette reconstruction sera réussie, car elle sera le fruit d’un travail collectif.

Propos recueillis par Jean Prève

Photo de Une. La gendarmerie de Saint-Martin-Vésubie après le déluge. DR J.P

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