Vers le capitalisme (...)

Vers le capitalisme collectiviste ?

Il n’est aisé pour personne de remettre en cause un système qui a longtemps donné toute satisfaction. Même s’il a désormais atteint ses limites. Les tentatives de sauvetage en cours relèvent souvent du grand écart idéologique. Comme le projet français de collectiviser le risque des investisseurs immobiliers.


Nous vivons des temps bien singuliers. Maintenant que la planète entière s’est convertie à un système économique qui a produit, en presque deux siècles, plus de richesses que pendant toute son histoire antérieure, chacun aimerait être convaincu que nous avons enfin atteint l’optimum du modèle social. Et que faute de pouvoir, ou de vouloir, inventer un mode de vie plus performant, il suffit d’opérer quelques réglages pour relancer la machine en cas de crise.
Tel est le contexte auquel sont aujourd’hui confrontés tous les Etats du monde, et tous déplorent les limites de leur boîte à outils. Si bien que l’on tente, ça et là, de rafistoler le système avec les pièces usagées du collectivisme déchu. Ce qui revient à-peu-près à greffer un jarret de bœuf à la place du piston défaillant d’un moteur à explosion.

Un bon exemple de ces implants expérimentaux nous est donné par le plus récent projet du ministre du Logement. Le même constat s’est imposé à tous ceux qui ont occupé le poste depuis des décennies : un nombre important de familles ne trouve pas à se loger dans des conditions honorables, alors que le parc français compterait, aujourd’hui, plus de 2,5 millions de logements vacants. Est-ce à dire que « le marché » ne remplit pas son office ? Faut-il comprendre, comme le suggèrent certains avec une certaine hardiesse, que les propriétaires concernés refusent de louer, se privant ainsi délibérément d’une source de revenus ? Ces hypothèses sont toutes deux difficiles à valider. En revanche, il est aisé de les réconcilier si l’on fait référence au marché solvable : des ménages sont mal-logés faute de disposer des moyens suffisants pour accéder à un gîte plus confortable ; des propriétaires ne louent pas faute de trouver le candidat apte à supporter sans risque le loyer demandé. Il en résulte que le « problème du logement », surtout perceptible dans les grandes agglomérations, provient essentiellement de l’inadéquation entre le prix des loyers et les revenus dont disposent les candidats locataires. En termes de politique économique, la question est donc de décider s’il faut agir sur le prix des loyers (et donc des immeubles) et/ou sur le pouvoir d’achat du pékin.

Désarroi idéologique

Tel n’est pas le raisonnement suivi par le ministère. La thèse officielle pose que le problème vient des propriétaires, frileux devant le risque d’impayés, qui préfèreraient la certitude d’un revenu nul à l’hypothèse d’une défaillance du locataire. Il suffirait donc d’instaurer une garantie locative automatique pour résoudre l’entièreté du problème : chacun pourrait se loger où il le souhaite, et le bailleur serait indemnisé en cas de défaut. Seraient ainsi préservées les aspirations légitimes de l’investisseur à sécuriser ses revenus, et garantis les droits non moins légitimes du pékin à se loger convenablement. Comment n’y a-t-on pas pensé plus tôt ? Eh bien si, justement, le sujet a été largement exploré. Les assurances locatives privées existent depuis belle lurette, et un système a même été institutionnalisé en 2007, puis toiletté en 2010 en un contrat unique de « garantie des risques locatifs » (GRL), résultat de conventions entre l’Etat, les partenaires sociaux et des compagnies d’assurance. L’ennui, c’est qu’il fonctionne très mal. Probablement pas à cause des primes à acquitter par le bailleur, même si leur coût n’est pas anecdotique (entre 3% et 3,5% du loyer et des charges, en moyenne). L’échec tient au fait que l’assurance n’est possible que sous conditions d’éligibilité au système : le candidat locataire doit disposer de revenus supérieurs au double du loyer majoré des charges. Une approche plus bienveillante que la norme de marché (revenus au moins égaux à trois fois le loyer), mais qui exclut encore beaucoup de demandeurs.

L’idée de Mme Duflot serait de rendre « universelle » la GRL, c’est-à-dire de supprimer les critères d’éligibilité et, sur l’autre versant, de rendre l’assurance obligatoire pour tous les propriétaires. Les arguments sont séduisants : il n’y a aujourd’hui que 2% environ de contentieux locatifs. Si bien que la généralisation de la garantie permettrait d’équilibrer le ratio sinistres/primes des assureurs avec une contribution modique des bailleurs. Sauf que les sinistres actuels résultent de baux conclus avec une sélection très rigoureuse des locataires, en termes de solvabilité. Sans sélection, il est extrêmement probable, sinon certain, que les défaillances exploseraient. Si bien que le coût de la garantie monterait en flèche, au point d’amputer sérieusement les rendements locatifs déjà modestes. Au global, sous l’alibi de « sécuriser » leurs revenus, cela reviendrait à étriller les bailleurs et à faire supporter aux seuls propriétaires le coût d’une politique généreuse de « logement pour tous ».

La logique défendue dans ce projet est assez éclairante de l’état d’esprit ambiant. L’argumentation repose sur la suppression du risque de l’investisseur, comme étant la réponse exclusive à un problème d’inégalité sociale. En d’autres termes : cajoler le capital permettrait d’optimiser l’harmonie sociale. Ce qui est une approche plutôt hardie pour un gouvernement progressiste… Car les (vrais) capitalistes de la finance ne disent pas autre chose : ils réclament (et obtiennent quelquefois) la suppression du risque dans leurs prêts aux nations souveraines. Bien que continuant à le facturer avec une marge d’intérêt. Dès lors, si ce paradigme paradoxal parvenait à s’imposer, dans l’immobilier comme dans la finance, le système actuel serait irrémédiablement condamné : sans la sanction du risque, le capitalisme ne saurait perdurer.

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