Vers un tsunami inflation

Vers un tsunami inflationniste ?

Les jeunes générations françaises ignorent tout de l’inflation, pour ne l’avoir jamais endurée. Les Allemands vivent dans le souvenir, vécu ou narré, de la République de Weimar. Ce pourquoi ils se montrent aussi pointilleux sur l’orthodoxie monétaire. Partout apparaissent les signes d’une forte hausse des prix. Les réactions institutionnelles sont pour le moins contrastées…

Pour se faire une idée de l’inflation, il est nécessaire d’avoir un peu de mémoire. Car le phénomène a quasiment disparu de notre paysage (au moins selon les statistiques officielles) depuis le milieu de la décennie 1980. Sur les dix dernières années, par exemple, l’indice des prix à la consommation (IPC) affiche une hausse cumulée de 16,5%. Ce qui est modeste, voire insignifiant, alors que l’IPC avait doublé en neuf ans à partir de 1968, puis à nouveau doublé en sept ans à compter de 1977. On dévalait alors les derniers contreforts de la chaîne himalayenne des « Trente glorieuses », pour aborder la morne plaine d’une croissance mollassonne, assombrie par les chocs pétroliers, les crises monétaires et les troubles sociaux. D’aucuns ont alors suggéré que le système occidental avait pris un méchant coup dans l’aile et qu’il ne s’en remettrait pas. Il repartit pourtant de l’avant avec une vigueur nouvelle, pétaradant de plus belle après la chute du Mur : le grand adversaire idéologique était terrassé par KO technique. Le vainqueur a manifestement profité de son triomphe, en exploitant ses arguments dogmatiques jusqu’à la limite de l’absurde, comme le firent avant eux les léninistes avec leur propre pathos. Et avec les résultats que l’on connaît. Finalement les Cassandre soixante-huitards pourraient avoir eu à la fois tort et raison : raison sur le fond de la déliquescence du système, mais tort quant à son timing.

En tout cas, une nouvelle fois, pointe son nez l’un des symptômes annonciateurs de dysfonctionnements majeurs : l’inflation. Avec même des risques perceptibles d’hyperinflation. Certes, le grand mogol de la politique financière américaine, l’inénarrable Ben Bernanke, patron de la Réserve Fédérale, prétend très exactement le contraire : selon lui, les pressions inflationnistes aujourd’hui présentes aux Etats-Unis auront disparu d’ici quelques mois. Pourquoi et comment, l’histoire ne le dit pas. Mais Ben est aussi cachotier que son illustre prédécesseur Greenspan, autrefois gourou vénéré de la finance et désormais considéré comme l’artisan majeur de la chienlit contemporaine.

La mèche est allumée

Pour ce qui est de l’évolution des prix, il convient de se référer à ceux qui observent leur évolution avec plus de soin et d’attention que les statisticiens officiels. Tel Bill Simon, CEO de Wal-Mart (la plus importante chaine de distribution du monde) : « les consommateurs américains vont être confrontés à une sérieuse inflation dans les mois qui viennent, qu’il s’agisse des vêtements, de la nourriture ou des autres produits » a-t-il récemment déclaré. Ce que les analystes attentifs corroborent par plusieurs motifs : la faiblesse persistante du dollar, qui pénalise spécifiquement la clientèle nord-américaine dans les importations. Mais aussi et surtout l’inflation des coûts : les salaires chinois s’envolent littéralement, en phase avec les recommandations du Plan quinquennal récemment adopté (et la pression sociale montante…) ; les transports se renchérissent à la cadence frénétique de la hausse des carburants ; les matières de base font un soleil, sous la pression opiniâtre des spéculateurs, principalement… américains. Inflation par la monnaie, inflation par les coûts ; il faudrait que la demande finale se contracte fortement pour que les prix de détail ne progressent que modérément. C’est peut-être le scénario auquel pense Bernanke : si les Américains n’ont plus d’argent pour faire leurs courses, alors les prix cesseront à coup sûr d’augmenter… En tout cas, avec le bagout caractéristique des businessmen yankees, Bill Simon affirme que « Wall-Mart continuera de proposer les prix les plus bas du marché ». Merci, Bill.

Chez nous, il semblerait que l’on assiste un peu partout à un bras de fer entre industriels et distributeurs, ces derniers refusant les hausses de prix qui leur sont proposées. Dans l’immédiat, cela se solde quelquefois par… le désert de certains rayons, dans l’attente de trouver un fournisseur plus coopératif. Entre nous, il est permis d’en douter : ce que nous avions annoncé dans ces colonnes, voilà pas mal de temps déjà, est en train de se produire : les producteurs reprennent la main. En Europe, où la dérive des prix est pourtant moins marquée qu’aux States (2,6% en tendance annuelle, c’est quand même nettement plus que les « 2% au maximum » ambitionnés par l’Institut d’émission), la BCE réagit de façon diamétralement opposée à son homologue d’Outre-Atlantique. Au point d’estimer nécessaire le relèvement de ses taux : un premier saut de 25 points de base vient d’être accompli. Cela ne fait que 1,25% pour le taux directeur, mais personne ne peut préjuger de la suite du mouvement. On peut tenir pour probable que la Banque centrale soit tentée par un retour à l’orthodoxie, après s’être montrée généreusement « accommodante » depuis le début de la crise. Un durcissement des conditions du crédit aurait pour double effet de compromettre l’activité déjà hésitante dans la Zone, et de renforcer la douleur des Etats dans le besoin. Donc de précipiter la formation d’une deuxième vague de crise. Mais poursuivre la stratégie actuelle amène tout aussi sûrement dans le mur : l’histoire démontre qu’une création monétaire excessive conduit toujours à une dépréciation de la monnaie. Aujourd’hui, cette création n’est pas excessive mais pharaonique. Il a de la chance, Trichet, d’être bientôt contraint à la retraite…

Par Jean-Jacques JUGIE

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