Zéphyr keynésien à Berlin

Un vent nouveau se lève en Allemagne. Après avoir cautionné les futures largesses de la BCE, Berlin accepte de relancer la consommation intérieure. Par l’instauration d’un salaire minimum et la majoration sensible du traitement des fonctionnaires. L’Allemagne peut-elle devenir la « locomotive » de l’Europe ?

Voilà donc une bonne nouvelle : l’Allemagne n’est pas sourde. Pas sourde aux recommandations, réclamations voire récriminations, à elle adressées par ses voisins, par la BCE, par les autorités américaines et par le FMI – le théoricien patenté des règles de bonne gouvernance. Pourtant, nul ne peut reprocher à Berlin de négliger la discipline budgétaire : les comptes publics seront bientôt à l’équilibre, ce qui constitue plutôt une heureuse anomalie dans le paysage international. Nul ne peut reprocher au pays de négliger les évangiles de la compétitivité : son industrie demeure vigoureuse et bon nombre de ses produits ont acquis un brevet d’excellence sur toute la planète. Il en résulte des excédents commerciaux qui font légitimement pâlir de jalousie tous les Etats qui n’ont pas la chance d’être assis sur des océans de pétrole. Nul ne peut reprocher à l’Allemagne de négliger l’emploi de ses populations : le taux de chômage y est deux fois plus faible que dans la moyenne de l’Union. A quel prix ces performances remarquables ont-elles été obtenues ? Là se situe précisément le sujet des controverses : pour une large part, la compétitivité teutonne résulterait de la modération salariale, que d’aucuns baptisent plutôt « austérité ».

On se souvient qu’après la réunification, l’Allemagne s’est imposée une longue diète salariale pour préserver sa compétitivité et, un peu plus tard, pour freiner l’attrait irrésistible des délocalisations industrielles. Le consensus, sur un sujet aussi sensible que celui des rémunérations, n’a pu être obtenu que grâce au pragmatisme patriotique des syndicats, dont la culture est très éloignée de celle de leurs homologues français. Toutefois, les salariés sont maintenant impatients d’échapper à l’ascèse (relative) qu’ils supportent depuis des lustres, d’autant que les performances du pays ne justifient plus le maintien de restrictions rigoureuses. Leurs aspirations rejoignent ainsi les vœux étrangers évoqués en préambule : une amélioration du pouvoir d’achat, qui doperait la consommation intérieure et permettrait ainsi, au moins en théorie, de tirer la croissance de l’Europe tout entière et d’écorner les énormes excédents commerciaux du pays.

Revenus : le levier keynésien

Une première étape a été franchie avec la création d’un minimum salarial, dont le principe commencera à se généraliser dès le début de l’année prochaine. L’adoption d’une telle mesure résulte directement du contexte politique interne, la Chancelière ayant dû composer avec l’aile gauche de sa nouvelle coalition. Même si ce SMIC « à l’allemande » (8,50 euros de l’heure) est plus faible que son équivalent français, dans un pays où le niveau moyen des rémunérations demeure supérieur au nôtre, il a provoqué de sérieux remous dans les milieux patronaux. On ne peut encore préjuger de l’impact de la mesure sur le niveau général de l’emploi. Mais il ne fait pas de doute que les statistiques seront suivies avec attention, notamment dans notre pays : l’ancien directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, vient en effet de suggérer à ses « camarades socialistes  » de « franchir les espaces symboliques », en légalisant les « petits boulots » payés au-dessous du salaire minimum. D’évidence, bien des « services » deviendraient opérationnels, si le coût salarial de leur exécution rendait leur exploitation rentable. Sous réserve que la main d’œuvre sollicitée accepte les rémunérations offertes, ou qu’elle y soit obligée : les espaces à franchir ne sont pas seulement « symboliques ». Mais au vu de l’évolution doctrinale du socialisme à la française, on ne peut exclure qu’un gouvernement « de combat » déboulonne ce que la gauche considère comme des acquis sociaux intangibles.

Quoi qu’il en soit, à contre-courant des tentations hexagonales, Berlin instaure un salaire minimum qui devrait concerner environ 1 million de personnes, dont certaines verront leur revenu doubler – ou leur emploi disparaître…Dans le même temps, les revendications salariales se durcissent. Les pilotes de la Lufthansa, par exemple, ont entamé un mouvement de grève afin d’obtenir une forte revalorisation de leurs salaires. Avant eux, ce sont les fonctionnaires qui ont manifesté et qui ont obtenu satisfaction : les traitements seront majorés de 3% cette année et de 2,5% l’année prochaine – dans un contexte où la hausse des prix plafonne à 1%, avec une tendance à la baisse. Sont ainsi concernés 2 millions de fonctionnaires. Mais contrairement à ce qui se passe en France, le sort de la fonction publique n’a pas d’incidence directe sur les salaires du privé. Lesquels sont régis par des accords de branche pour environ 60% d’entre eux, et leur progression s’est établie à 2,4% l’année dernière (alors que le salaire moyen, tous effectifs confondus, a baissé de 0,1% sur la même période).

Avec l’augmentation sensible des rémunérations – au moins 3 millions de salariés concernés –, doit-on envisager un fort rebond de la consommation en Allemagne, et escompter que le pays se positionne en « locomotive » de l’Europe ? Les avis sont pour le moins partagés. Au constat, notamment, que la consommation allemande a déjà bien progressé sur les trois dernières années, sans incidence sur ses importations des principaux pays de la Zone (France, Italie, Espagne). C’est essentiellement l’Asie qui profite de l’augmentation du pouvoir d’achat allemand, et tout particulièrement la Chine. Enfin, si leur taux d’épargne est inférieur à celui des Français (environ 10% du revenu disponible), les Allemands profitent de leur surcroît d’aisance pour investir dans l’immobilier, à la faveur de la faiblesse des taux d’intérêt. Un réflexe qui devrait favoriser l’importation temporaire de « salariés déplacés », venus de l’Est européen.

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