Entrepreneurs : DNI (...)

Entrepreneurs : DNI ou EIRL

  • le 1er avril 2016

Ces deux abréviations désignent des procédés autorisant l’entrepreneur individuel à limiter les risques liés à l’exercice de son activité : la Déclaration Notariée d’Insaisissabilité (DNI) et l’Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limitée (EIRL).
Traditionnellement, tout entrepreneur individuel déclaré en liquidation judiciaire subit la saisie de ses actifs pour pouvoir payer ses dettes. La seule parade consistait à créer une société car elle fait écran entre les créanciers et le dirigeant.

La déclaration d’insaisissabilité : pour favoriser les entreprises individuelles, la loi du 1er août 2003 autorise l’entrepreneur à rendre insaisissable sa résidence principale par une déclaration notariée. Cette réforme, présentée à juste titre comme un progrès majeur au service des entrepreneurs individuels, a été étendue :
- la loi du 4 août 2008 en a élargi le périmètre à tout « bien foncier, bâti ou non bâti » , non affecté à l’exploitation (en fait, la ou les résidences secondaires) ;
- la loi du 6 août 2015 (loi Macron) a rendu la résidence principale de plein droit insaisissable (il n’est donc plus nécessaire de passer par un notaire).

L’efficacité de la DNI a été confirmée par la Cour de cassation (Com. 28 juin 2011 & 13 mars 2012) : l’insaisissabilité est « opposable à la liquidation judiciaire ». Le liqui- dateur ne peut pas faire saisir les actifs immobiliers rendus insaisissables.

Ces lois ont connu un fort succès. On ne peut pas en dire autant de l’EIRL.
L’Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limitée : en optant pour le statut de l’EIRL (loi du 15 juin 2010), l’entrepreneur procède à un dédoublement de son patrimoine en déclarant dans son patrimoine professionnel les seuls actifs affectés à son activité. Le même résultat ne pouvait alors être atteint qu’en créant une société.

Seuls les actifs du fonds de commerce déclarés par l’entrepreneur au RCS ou au RM seront exposés au risque de saisie.

Présenté comme une révolution, l’EIRL n’affiche pas le bilan espéré.
Bilan de l’EIRL : au 31 août 2013, on en dénombrait 17.896, soit moins de 1% des entreprises individuelles car l’EIRL suscite des résistances (rapport du Sénat du 21.11.2013) :
- des entrepreneurs individuels : contre le risque de fraude aux droits des créanciers, la loi impose des formalités déclaratives et obligations comptables, l’évaluation des actifs par un expert-comptable, ce qui alourdit le coût. « Quitte à opter pour un régime juridique complexe avec des obligations comptables régulières, autant constituer une société. »
- des banques : l’accès au crédit est crucial pour un entrepreneur, la fédération bancaire française est réticente à l’égard de l’EIRL. Selon les notaires, « il est très difficile de travailler avec des banquiers dans le cadre de l’EIRL ».
- des praticiens : « les notaires conseillent la formule de la SARL unipersonnelle. Rares seraient les experts-comptables qui recommanderaient l’EIRL ».
Selon P.M. Le Corre, l’EIRL est un « miroir aux alouettes » (L’insaisissabilité légale de la ré- sidence principale au bénéfice de l’entrepreneur individuel, conférence du 15 déc. 2015, Faculté de droit et science politique, Nice). Ayant déclaré leurs biens immobiliers insaisissables, beaucoup d’entrepreneurs s’estiment assez protégés et ne voient pas l’intérêt de l’EIRL.

En conclusion : l’antériorité de la DNI fait de l’ombre à l’EIRL. Certes l’EIRL a un périmètre de protection plus large mais la DNI préserve l’essentiel aux yeux des entrepreneurs. En rendant la résidence principale automatiquement insaisissable, la loi Macron a encore accru la simplicité de ce régime.

L’insaisissabilité est aussi plus souple à « gérer » avec les banquiers. L’entrepreneur négociant un crédit peut renoncer à l’insaisis- sabilité de l’un de ses actifs. Un projet de loi prévoit de ne lais- ser subsister que l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale (version loi Macron). Il ne remettra pas en cause le net avantage de l’insaisissabilité.

Philippe KAIGl
Maître de conférences à la Faculté de droit et science politique de l’Université de Nice Sophia-Antipolis,
Membre du CERDP (E. n° 1201),
Avocat au Barreau de Grasse.

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