A l'assaut de la spéculati

A l’assaut de la spéculation

Reconnaissons que jusqu’à ce jour, les Etats ne s’étaient pas montrés vraiment incisifs dans la réglementation de la sphère financière. Mais peu à peu, l’Europe prend les devants. Et projette d’instituer des garde-fous sur les marchés des matières premières et des dérivés. Ce n’est pas encore la révolution, mais le bon sens progresse.

Les réactions gouvernementales, nous dit-on chaque jour, sont très en retard sur celles des marchés. C’est ce que déplorent les opérateurs lorsque la santé de leur portefeuille est en jeu, eux qui souhaiteraient que les Etats obtempérassent à leur première injonction. Le feuilleton ininterrompu des psychodrames récurrents, depuis maintenant plus de trois ans, confirme le retard à l’allumage systématique des décisions politiques. L’ampleur des enjeux en cause, les intérêts divergents, le caractère exceptionnel du contexte, tous ces facteurs paralysent davantage les autorités publiques qu’elles ne les stimulent. Tout au plus les grandes nations trouvent-elles l’occasion de faire preuve d’initiative dans des conflits exotiques, sans s’exposer à de grands périls, où elles triomphent sans gloire en exhibant la dépouille d’un tyranneau d’opérette, abattu comme un faisan d’élevage le jour de l’ouverture de la chasse. Comme odyssée, on a connu plus homérique.

Mais il serait injuste d’accuser les gouvernements d’immobilisme, face aux désordres de la planète financière. Les premiers à dégainer ont été les Américains, avec leur Dodd-Frank Act, un pavé monstrueux que plusieurs mandats présidentiels ne parviendront pas à transformer en réglementation applicable. Mais aux USA, on aime légiférer au poids : la masse volumique d’un texte garantit la pérennité du fonds de commerce des juristes. Parallèlement, on s’est beaucoup activé pour contraindre le système bancaire à muscler son haut de bilan. Il en est résulté le paquet « Bâle III », que les institutions américaines préfèrent ignorer superbement et que leurs homologues européennes s’emploient à contourner avec des arguments auxquels les politiques ne comprennent goutte. Mais au moins, après avoir nié une quelconque nécessité de renforcer leurs fonds propres, nos banques en ont-elles accepté le principe. Pour les modalités, on verra plus tard.

Chasse aux dark pools ?

Quoi qu’il en soit, l’Europe avance quelques pions dans le sens d’un resserrement du périmètre de jeu de la finance spéculative. Notre ministre des Finances « se félicite » (comme dame Lagarde avant lui : il a dû conserver intact son service de presse) des propositions législatives récentes de la Commission en matière de supervision financière. Notamment sur les marchés de matières premières, qu’il est question de « rendre utiles en priorité aux acteurs de l’économie réelle », sans pour autant en restreindre l’accès, ni l’interdire, aux acteurs de l’économie financière (c’est-à-dire virtuelle). Mais il s’agit d’imposer la compensation de toutes les opérations initiées et, surtout, de les soumettre au contrôle des autorités de marché. Ce qui n’est pas le cas de bon nombre d’entre elles, traitées de gré à gré dans les « dark pools », ces sombres marécages de transactions qui échappent à la surveillance des régulateurs et… à toute règle codifiée. Il sera alors possible de limiter les positions prises par un seul opérateur, tant pour limiter le risque systémique que pour prévenir celui d’un « corner » – une position dominante qui oriente le cours, dans un sens ou dans l’autre, sans lien avec le marché du physique. Sur un autre registre, notre ministre se félicite mêmement des propositions de révision de la directive « MIF » (Marchés d’instruments financiers), visant à soumettre les transactions des produits dérivés aux règles ordinaires des places réglementées, à encadrer les pratiques sulfureuses du courtage algorithmique (high frequency trading) et à toiletter la Market abuse directive (la directive « MAD » bien nommée), relative aux opérations d’initiés et aux manipulations de marché.

Peu avant, les Européens se sont mis d’accord sur un projet de règlement visant à encadrer « strictement » les ventes à découvert et les opérations nues sur les CDS relatifs aux emprunts souverains. On rappelle que les Credit default swaps sont une sorte de contrat d’assurance, permettant à un investisseur de protéger son portefeuille obligataire contre un défaut de paiement : dans ce cas, la contrepartie prend à sa charge la perte essuyée par l’investisseur. La position est dite « nue » lorsque l’acquéreur de CDS n’a rien à couvrir et se contente de spéculer sur… l’altération de la signature de l’emprunteur. Un petit jeu fort lucratif : vous faites la chaudière sur les CDS grecs, par exemple, ce qui est très facile car les volumes traités sont relativement faibles. Dans le même temps, le cours des obligations grecques baisse à due concurrence, ce qui permet de faire du gras sur les ventes à découvert (les volumes, là, sont plus importants). Parallèlement, toute nouvelle émission d’Athènes se fait à des taux stratosphériques (récemment, le bon du Trésor à court terme affichait un rendement de 150% !), ce qui est un pur délice pour les prêteurs – à condition que les emprunts soient remboursés, bien entendu. Voilà pourquoi tous les honorables banquiers de la planète sont aussi attentifs à la « solidarité » des Etats européens à l’égard de chacun de ses membres. Aucun doute qu’ils vont continuer à pilonner pour que l’orthodoxie soit respectée. De la même façon qu’ils vont déployer leur artillerie pour que les projets de la Commission, visant à affaiblir la spéculation, soient franchement dénaturés avant d’être adoptés. Mais d’un côté comme de l’autre, ils pourraient bien, cette fois, être déçus…

Crédit photo : Photos Libres

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