Agitation dans la fourmil

Agitation dans la fourmilière

L’incendie grec étant momentanément circonscrit, la finance européenne revient à son train-train quotidien. Et encourage la sphère politique à pousser plus loin les outrances qui ont déstabilisé le système financier. Contrairement aux allégations de Paris Europlace, deux mondes s’affrontent : celui de l’économie réelle et celui de la finance.

Soudain, sous le ciel orageux qui affecte le climat entre les Etats de l’Union européenne et ses voisins fiscalement cachotiers, surgit un communiqué de presse : « La Suisse et le Royaume-Uni complètent leur accord sur l’imposition à la source ». Un pavé dans la mare au moment où chaque pays, dans le sillage des Etats-Unis, tente de contraindre la banque helvétique à la pratique de l’échange automatique d’informations. Ce qui, en d’autres termes, reviendrait à renoncer totalement au dogme du secret bancaire, que la Suisse s’emploie, bec et ongles, à préserver le plus longtemps possible. Cette convention, qui a désormais été rendue compatible avec le droit européen, prévoit la perception d’un impôt libératoire... élevé (48%). Mais l’anonymat des détenteurs de capitaux est préservé. Londres joue ainsi un mauvais tour à la Commission, en ouvrant une brèche dans les rangs serrés des Etats-membres qui luttent contre l’évasion fiscale. Et le gouvernement de Sa Majesté en rajoute une louche dans son projet de budget, en allégeant l’imposition des très hauts revenus (la dernière tranche passe à 45% contre 50% auparavant), afin de maintenir ou d’attirer sur son sol le staff des grandes firmes. L’impôt sur les sociétés est en outre abaissé à 24%, avec l’objectif de le ramener à 22%, d’ici 2014. En somme, le meilleur moyen de lutter contre les paradis fiscaux, c’est d’en installer un chez soi.

Il n’est pas certain, toutefois, que la grande masse des autochtones apprécie la stratégie gouvernementale. Car le financement du dispositif se fait par de nouvelles coupes dans les effectifs publics et un nouveau coup de rabot dans les dépenses sociales. Rien d’original toutefois : l’austérité à l’anglaise ne diffère pas de celle instaurée dans les autres Etats de l’Union. Elle est simplement défendue avec un volontarisme rodomont, quand les autres font plutôt profil bas pour administrer la potion. En prime, le gouvernement britannique confirme sa conception de la solidarité européenne, en tirant la couverture à lui autant qu’il le peut pour découvrir les petits copains. Il est permis toutefois d’émettre des doutes sur l’efficacité d’une politique supposée restaurer la croissance dès l’année prochaine. Du reste, les interrogations ne concernent pas que l’Angleterre. Au point qu’au sein même de la Commission, d’aucuns mettent en cause, avec insistance, le consensus ambiant : à privilégier l’assainissement budgétaire de façon aussi radicale, on mettrait en péril l’espoir d’une reprise salutaire. Bref, au moment où la « résolution » du cas grec avait ramené un souffle de sérénité, les dissensions ordinaires refont surface.

Intégrisme triomphant

Profitant de la fenêtre d’opportunité qui s’ouvre avec la campagne électorale en cours, l’association Paris Europlace rend public son livre blanc afin de clarifier le débat. Un plaidoyer pro domo qui ne fait pas dans la dentelle. Et qui sonne comme un avertissement : les projets de régulation du secteur financier vont avoir un effet direct sur le financement de l’économie. Il convient donc d’encourager tous les moyens permettant aux PME de s’abreuver directement au marché. C’est la Bourse qui résoudra la question, tant pour les capitaux propres que pour les emprunts, car les banques ne pourront pas suivre, alors qu’elles assuraient encore, en 2011, 92% des besoins des PME. Il faut donc, selon l’Association, réorienter l’épargne en conséquence (assurance-vie et PEA) et favoriser fiscalement la prise de risque. Pour finir, Paris Europlace réclame une « meilleure convergence des régulations entre l’Europe et les Etats-Unis », ces dernières étant plus bienveillantes chez les Américains, et la préservation du « modèle français de banque universelle ». Sous entendu : pas question de scinder banque de dépôt et banque d’investissement : les établissements veulent rester généralistes et pouvoir spéculer avec les ressources gratuites que représentent les avoirs des déposants. En un mot, notre sphère financière se comporte comme si rien ne s’était passé ces dernières années : selon elle, il faut ouvrir davantage l’accès au marché. L’optimum sera atteint quand le cordonnier du coin se financera en Bourse et que les épargnants pourront se ruiner sans l’intermédiation du banquier.

Une autre façon de dire : nous ne sommes pas allés assez loin dans les pratiques libérales, ce pourquoi nous rencontrons aujourd’hui des difficultés. Les dirigeants soviétiques disaient la même chose du communisme, peu avant que le Mur ne s’effondre sous le poids de leur aveuglement. La soumission générale des pouvoirs publics à cette approche intégriste, pour ne pas dire démente, pourrait finir par être lourde de conséquences. Il suffit d’observer les remous actuels en Grèce, au Portugal ou en Espagne. Où le pékin renâcle contre l’exigence de rigueur dans son monde réel, quand la finance s’éclate, à ses frais, dans une bulle à l’épreuve des balles. Il suffit d’observer la prise de conscience, par les Belges, des conséquences de la liquidation de Dexia – un modèle de l’excellence de la banque universelle. La garantie gouvernementale offerte aux créanciers devrait, théoriquement, durer vingt ans. Avec un coût global, pour la seule Belgique, d’une cinquantaine de milliards d’euros. Un examen plus attentif du dispositif fait dire à des spécialistes que la garantie durera beaucoup plus longtemps, et que les débours seront beaucoup, beaucoup plus élevés. Tout cela ayant été décidé par-dessus la tête du Parlement. Comme une question de banale intendance. Même ceux qui n’ont pas le nez délicat le reconnaissent : ça sent le roussi.

Visuel : Photos Libres

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