Banque : les malheurs de

Banque : les malheurs de Dexia

Il est loin le temps de la CAECL, une institution pépère et sans histoire. Transformée en société anonyme pour devenir le Crédit Local de France, puis associée à son homologue belge pour devenir Dexia, l’institution n’a pas résisté aux tentations sulfureuses de la finance « moderne ». Un scénario qui rappelle celui de feu le Crédit Lyonnais.

Les épargnants qui ont atteint l’âge de la maturité se souviennent sûrement de la CAECL, la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales. Cet établissement public, rattaché à la Caisse des Dépôts, jouissait d’un compartiment bien à lui dans la rubrique obligataire : il levait régulièrement des emprunts grâce auxquels il finançait les collectivités. Une activité très popote, car sa signature était garantie par l’Etat et celle des emprunteurs ne causait de souci à personne : il fallait à l’époque être complètement allumé pour croire qu’une commune ou une région puisse un jour faire défaut sur sa dette. Les choses ont bien changé aujourd’hui : les allumés sont ceux qui ne croient pas à une telle éventualité. Ainsi donc, en 1987, sous l’impulsion de son directeur de l’époque qui devait s’ennuyer ferme dans sa civette, la CAECL fut transformée en société anonyme et ouverte aux capitaux privés (à hauteur de 49% : ce n’était donc pas une privatisation complète mais une « respiration » du secteur public, alors jugé insuffisamment ventilé). Ce bol d’air fit naître le Crédit Local de France, une « institution financière spécialisée ». Dans sa réponse apportée à un sénateur qui s’interrogeait sur l’intérêt, pour les collectivités locales, d’une telle transformation, le ministre de l’Economie répondit prudemment qu’elle conférait à la vieille Caisse « une souplesse et une autonomie de gestion lui permettant de faire face aux exigences d’un marché de plus en plus concurrentiel ».

On venait de découvrir que la concurrence exige de bons poumons, de solides articulations, un vaste réservoir d’énergie pour une large autonomie, et des dents longues pour croquer des profits. Disposant de l’équipement complet, l’ancien directeur de la Caisse fut promu à la présidence du Crédit Local. Il lui fallut peu de temps pour lancer un programme de développement international agressif, par l’ouverture de nombreuses succursales : dès 1990 aux Etats-Unis, puis aux quatre coins de l’Europe. En 1991, le Crédit Local est introduit en Bourse et, en 1996, l’alliance avec son homologue belge, le Crédit Communal, donne naissance à Dexia. Le nouvel ensemble poursuit l’offensive aventureuse en multipliant les acquisitions : aux Etats-Unis, au Canada, en Europe, en Turquie et en Israël, dans les secteurs de la banque et de l’assurance. Pour son malheur, Dexia acquit la firme américaine Financial Security Assurance (FSA), l’un des tout premiers acteurs du « rehaussement de crédit », notamment des « muni », les obligations municipales américaines. Pas de chance : avec la dépréciation générale de la qualité des créances, consécutive à la crise financière, les rehausseurs ont été les premiers à déguster. Si bien que Dexia fut acculée à la cession de FSA, moyennant des pertes confortables, selon un scénario assez classique pour les firmes européennes qui partent à la conquête de l’Amérique : tout investisseur avisé sait qu’il ne faut jamais acheter aux Yankees l’une de leurs sociétés. Mais il n’y a pas que FSA qui ait posé problème à l’institution.

Vers le démantèlement

Renflouée en 2008 par ses actionnaires publics, les Etats français, belge et luxembourgeois, Dexia est de nouveau dans la tourmente, en dépit des efforts désespérés accomplis depuis lors pour alléger son bilan (encore supérieur à 500 milliards d’euros à la fin juin). Le feuilleton évoluant d’heure en heure, on ne se hasardera pas ici à des commentaires sur les options ouvertes, qui promettent de se révéler rapidement obsolètes. Tout comme les déclarations du Conseil d’administration : son président déclarait, le 29 septembre dernier, que « contrairement à certaines rumeurs, le conseil d’administration et les actionnaires de Dexia, qu’ils soient publics ou privés, excluent tout scenario de scission du groupe. » Pour « exclure » un tel scénario, il aurait fallu que les actionnaires disposassent d’un plan B. Tel n’est apparemment pas le cas et l’on pourrait ainsi voir naître la première « bad bank » officielle, une banque-poubelle qui recueillerait les actifs du groupe dont la valeur est compromise, ainsi que l’endettement adossé, bien entendu. Dans l’esprit des promoteurs de cette option – totalement exclue, cela va sans dire –, ce sont les Etats qui deviendraient propriétaires de cette bad bank : dans sa grande générosité, la France propose que la Caisse des dépôts et la Banque postale en fassent l’acquisition – les deux seuls établissements qui aient échappé, grâce à la rigueur de leur statut, aux errements de la finance-casino.

A qui reviendrait la crème, l’histoire ne le dit pas encore. S’il s’agit de dépiauter le groupe dans l’urgence, nul doute que nous assisterons à une remarquable séance de soldes : les vautours sont à l’affût des beaux morceaux. Mais Dexia constitue un cas d’école intéressant : les actionnaires publics sont toujours, directement ou indirectement, majoritaires dans la banque, dont la valeur de marché s’est écrasée à environ 2 milliards d’euros au moment où ces lignes sont écrites. Une misère. Cette majorité confère théoriquement un peu plus d’aisance aux décideurs publics. En feront-ils un usage pertinent ? Nous le saurons bientôt : l’abcès ne devrait pas tarder à crever. Les conseillers désintéressés doivent s’activer auprès de la famille du moribond, afin d’influencer les dispositions testamentaires. Car dans une banque squelettique, il reste toujours du gras sur l’os.

Crédit photo : Photos Libres

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