Berne / Berlin : 1 à (...)

Berne / Berlin : 1 à 1

Dans le match Suisse contre reste du monde, au titre de la compétition acharnée contre le secret bancaire, une étape vient d’être franchie par la signature d’un nouveau protocole avec Berlin. Plus rude pour les nomades fiscaux, mais sanctifiant leur anonymat. Et l’Allemagne s’engage à ne pas chercher à voler les données des banques suisses…

Un pas de plus dans l’escalade et il nous faudra faire une croix sur le ski dans les Alpes suisses. Pas à cause d’une quelconque détérioration des stations helvètes, qui demeurent irréprochables. Ni d’une excessive cherté du franc, vu que la Banque centrale s’emploie avec succès à maintenir le couvercle sur la bouilloire. Il faut plutôt se demander si les relations diplomatiques entre nos deux pays ne risquent pas d’être compromises. Car le pilonnage se poursuit sur le thème de l’éternel sujet de fâcherie : le fameux secret bancaire, fonds de commerce de la neutralité suisse, que le pays sait en danger mais qu’il tente par tous les moyens de préserver le plus longtemps possible. Moyennant des conventions bilatérales avec certains Etats-membres, qui permettent de retarder l’adoption d’une position monolithique plus rigoureuse de l’Union Européenne. Un scénario qui ferait très mal à l’industrie financière : aujourd’hui, la gestion suisse ne présente pas de caractéristiques vraiment différentes de celle de ses homologues, car la finance est aux premières loges de la mondialisation et sa technologie se standardise très rapidement.

Mais la protection de l’anonymat du déposant, sous les réserves et restrictions apportées par les conventions et leurs codicilles récents, enfantés au forceps, voilà un argument qui pèse lourd dans la décision des gros contribuables fiscalement prudents. Une clientèle dont les banques suisses ont toujours revendiqué l’accueil, au motif très calviniste que la protection du patrimoine, y compris contre les exigences du fisc, relève du devoir sacré du chef de famille. Les établissements helvètes se font une obligation impérieuse de respecter ce contrat moral, dans la neutralité et la discrétion constitutionnelles. Le signataire a souvent relaté, dans ces colonnes, l’affection qu’il nourrit à l’égard d’un état d’esprit bien spécifique à la banque suisse. Sans tomber dans la naïveté : les paterfamilias aux professions sulfureuses méritent le même soin attentif et la même discrétion scrupuleuse pour leur patrimoine mal acquis. Et les établissements, pris par la fièvre de l’expansion, auraient un peu trop tiré sur la corde. Ne se contentant pas d’attendre le client à leurs guichets, ils auraient démarché activement les prospects de pays opulents, dans l’intention délibérée de les aider à nomadiser. Ce qui est à la fois discourtois et illégal.

Etat de siège

C’est sur cet argument d’incitation à l’évasion que les Etats-Unis ont pilonné la place helvétique, qu’ils continuent de le faire et qu’ils ont opéré un sérieux accroc au secret, tout en infligeant des amendes pénales substantielles. Avec la France, la situation semblait s’acheminer vers l’apaisement. Mais voilà qu’en pleine campagne électorale, alors que le thème de la fiscalité prend tout son relief, un journaliste de La Croix publie une enquête [1] sur l’évasion fiscale vers la Suisse, tout particulièrement sous les auspices de la banque UBS. Où il apparaît que des agents de la banque auraient discrètement écumé le territoire et favorisé la transhumance de capitaux importants, au nez et à la barbe des autorités compétentes. Lesquelles, nous dit l’auteur, auraient été saisies du dossier mais l’auraient pudiquement enterré. Si ces allégations étaient avérées, toutes les hypothèses les plus abracadabrantesques seraient permises. Il n’est donc pas impossible que, pour des nécessités d’épicerie politicienne, la question revienne sur le devant de la scène. Encore que la gent politique se montre ordinairement prudente avec la banque suisse, qui a eu, a probablement encore aujourd’hui et aura sans doute demain, son utilité dans les opérations qui redoutent la transparence…

Mais c’est avec l’Allemagne que la situation s’est brusquement tendue, peu avant que les deux pays ne parviennent à la conclusion d’un accord « Rubik », sur le modèle de celui signé avec la Grande-Bretagne. Qui prévoit la majoration de l’impôt libératoire sur les capitaux allemands déposés en Suisse, en contrepartie du maintien de l’anonymat. Un accord qui ne fait pas l’unanimité à Berlin, notamment au sein de l’opposition parlementaire, qui juge les conditions trop favorables aux fraudeurs. Ce qui n’est pas vraiment le cas : les taux s’échelonnent de 21% à 41%, en fonction de l’assiette, pour les revenus autres que ceux concernés par l’accord général avec l’UE (qui taxe à 35% les intérêts), et à 50% pour les successions non déclarées. Quoi qu’il en soit, peu avant cet accord, le procureur fédéral de Berne lançait un mandat d’arrêt international contre les fonctionnaires allemands qui ont, on s’en souvient, acquis le fameux CD contenant des informations sur les contribuables teutons détenant des capitaux en Suisse. Des données qui avaient été volées au Crédit Suisse par l’un de ses anciens salariés. Il y a donc bien eu recel d’informations confidentielles, diligenté par les fonctionnaires du fisc en cause, sous la haute protection de leur employeur, l’Etat allemand. Ce pourquoi les autorités helvétiques n’hésitent pas à invoquer une affaire d’espionnage. S’agissant d’un crime grave, un tel contentieux serait très dommageable aux relations entre ces deux pays – amis. Dans sa grande mansuétude, la Suisse s’engage à renoncer aux poursuites dès que l’accord sera ratifié par le parlement allemand, puisque les autorités berlinoises se sont engagées à « ne pas chercher activement à acquérir des données dérobées auprès des banques en Suisse ». Moralité : en droit international, il faut un accord particulier pour prohiber le vol entre les parties…

[1« Ces 600 milliards qui manquent à la France », Antoine Peillon, Le Seuil 2012

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