Collectivités locales (...)

Collectivités locales : la diète

L’Etat n’est pas le seul à être confronté à de gros embarras budgétaires. Après une longue période de vaches grasses et d’argent facile, les collectivités locales sont maintenant exposées à la raréfaction du crédit. Outre les purges que certaines doivent subir avec les emprunts toxiques. Rouerie et mauvaise foi partagées entre les élus et Dexia.

Le feuilleton Dexia n’a pas fini d’alimenter la chronique au quotidien. En dépit ou à cause de la « convention de garantie » que les actionnaires publics (France, Belgique, Luxembourg) ont récemment signée et que la Commission européenne devrait rapidement avaliser. Il s’agit d’une garantie réputée « temporaire » (jusqu’au 31 mai de l’année prochaine, date qui a un sens pour la vie politique française…), garantie que le conseil d’administration de la banque souhaiterait logiquement « définitive », et portant sur un montant de 90 milliards d’euros (dont 36,5% pour la France). Ce n’est pas tout-à-fait une paille pour le Trésor français, même si la Belgique endosse le plus gros de la caution (60,5%). La garantie couvre « des » contrats et « des » titres ou instruments financiers, sans autre précision officielle, mais présente « un caractère irrévocable, inconditionnel, direct, autonome et à première demande ». Une caution en béton armé pour les créanciers, du type de celles que l’on ne signe qu’avec une kalachnikov sur le ventre. Il ne manque que le terme « solidaire » pour rendre la garantie indépassable, mais cette dernière est seulement « conjointe ». C’est-à-dire que les créanciers ne peuvent actionner les autres cautions pour la fraction due par l’une d’entre elles.

Ainsi donc, le risque français est plafonné à 32,85 milliards d’euros : en d’autres termes, le coût du démantèlement de Dexia (et non son sauvetage) se situera quelque part entre zéro (hautement improbable) et ce montant. Ce qui laisse une énorme incertitude budgétaire et rend bien imprudentes les allégations gouvernementales, selon lesquelles il ne saurait être question d’un « troisième plan d’austérité » avant… l’issue des présidentielles. D’ici là, beaucoup d’eau fangeuse pourrait passer sous le pont de Bercy. Au vu des développements présents de la sphère financière, il est permis de craindre que de nouveaux bugs viennent déprécier, un peu plus encore, le portefeuille d’actifs sulfureux de Dexia. Et en même temps rendre la vie difficile aux collectivités locales, dont une bonne part du financement était antérieurement assurée par le Crédit Local, filiale spécialisée du groupe bancaire. Selon les dernières estimations, les autres banques commerciales seraient courtes d’une douzaine de milliards d’euros en 2012, pour faire face aux besoins des « acteurs publics locaux » – intégrant en particulier les hôpitaux et les universités. Comme toutes les institutions de crédit réduisent, par nécessité, la taille de leurs bilans, leurs capacités d’intervention s’en trouvent réduites à due concurrence. La perspective douloureuse d’un « credit crunch » se profile à l’horizon : le rationnement du crédit a toujours été, dans l’histoire économique, un catalyseur efficace pour transformer la récession en dépression. Les collectivités locales pourraient ainsi être confrontées à de douloureuses crises de trésorerie, après des décennies d’argent facile…

Panne de crédit

D’autant plus facile que les organismes prêteurs ont offert auxdites collectivités des emprunts sophistiqués, extrêmement rémunérateurs pour eux, que l’on découvre aujourd’hui « toxiques ». En ce sens que leur coût devient pharaonique pour les débiteurs. Ces derniers protestent et choisissent la plupart du temps la voie judiciaire, bien que leurs protestations de bonne foi ne soient pas toujours crédibles. Car le gros avantage de ces prêts, bâtis sur une usine à gaz de swaps de taux et de devises, permettait de minimiser le remboursement immédiat, au prix d’un risque de puissant renchérissement… plus tard. C’est-à-dire quand les signataires auraient probablement abandonné leur mandat – volontairement ou non. Le chroniqueur a bon souvenir d’avoir, en son temps, discuté de ce sujet avec de jeunes diplômés de grandes écoles, engagés par les banques en cause pour « dealer » ces financements nucléaires : les gamins étaient stupéfaits de l’aisance avec laquelle ils plaçaient leur « camelote », et de la générosité des bonus qu’ils en récoltaient. Pour eux, ce fut la belle époque des « subprime pour collectivités ».

Maintenant que le pain blanc a été « boulotté », il faut passer à une étape moins sympathique. L’encours des acteurs publics locaux représente environ 160 milliards d’euros ; sur ce montant, un peu plus du cinquième serait considéré comme étant « à risque », c’est-à-dire infecté d’une toxicité plus ou moins élevée. Dont le degré peut s’accroître avec la détérioration de la conjoncture. Telles sont les estimations de la « Commission sur les produits financiers à risque » de l’Assemblée nationale. Il en résulte déjà des situations inextricables. Notamment pour les petites communes, celles de moins de 10 000 habitants : contrairement aux allégations originelles de Dexia, 1 600 d’entre elles auraient souscrit des emprunts toxiques. Dont le surcoût est de nature à déstabiliser complètement leurs finances. Il faudra donc bien trouver une solution, négociée ou contentieuse, pour purger ces situations sans contraindre les communes en cause à voter une volée d’impôts insoutenables, ou à… faire défaut sur leur dette. A moins qu’un schéma global de restructuration ne provienne de l’entité constituée par la Caisse des dépôts et la Poste, qui ressemble à cette « agence de financement des collectivités locales » que la Cour des comptes appelle de ses vœux. Ce qui reviendrait en quelque sorte à ressusciter la défunte CAECL, celle que l’on sacrifia naguère à la naissance du… Crédit local de France, au nom de la modernité. Laquelle suppose, bien sûr, la privatisation complète du marché des capitaux. Un ange passe…

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