Conjoncture US : le brouillard

Les prévisionnistes continuent de se montrer confiants en l’avenir de l’économie américaine, en dépit de sa contre-performance du premier trimestre. Et d’une tendance faiblarde. Mais le marché de la dette contredit formellement ces anticipations, ainsi que celles de la FED. Qui est dans l’erreur ?

Mais quel est donc l’état réel de l’économie américaine ? Un consensus s’était formé pour accorder aux Etats-Unis le statut de nation en recovery, c’est-à-dire engagée sur le chemin du retour à une croissance vigoureuse. Pour preuve, la Banque fédérale avait commencé à réduire sa contribution à la convalescence du pays, en ramenant ses rachats de titres à des proportions un peu moins astronomiques (encore 45 milliards de dollars par mois, tout de même). Quelques performances trimestrielles encourageantes – quoique corrigées à la baisse – ont entretenu ce scénario rose et ainsi confirmé que l’Oncle Sam avait, une fois encore, adopté la stratégie appropriée – bien que bigrement téméraire. Et puis voilà que les résultats du premier trimestre de l’année sont venus rafraîchir les espérances : après une première estimation faisant apparaître une très légère progression, il s’est avéré que le PIB a régressé de 1% (en rythme annuel). Un couac intégralement imputé à la rigueur de l’hiver : si les dépenses de consommation sont restées dynamiques, l’investissement des entreprises a chuté, l’activité immobilière fortement régressé et les exportations se sont enlisées.

Mais dès l’approche du printemps, les économistes ont retrouvé les arguments appropriés à des prévisions optimistes, en dépit de statistiques ponctuelles plutôt décevantes. Il est donc admis que le PIB américain atteindra cette année la performance attendue par les milieux officiels – autour de 3%, ce qui ne serait pas exceptionnel pour les States, mais qui passerait pour un exploit dans n’importe quel Etat européen. Toutefois, alors que s’approche le terme du deuxième trimestre, les premiers indicateurs laissent craindre que le rebond sera plus modeste qu’espéré. Sur le terrain de l’emploi, les embauches se révèlent très inférieures aux attentes, en dépit de l’embellie du marché du travail observée au mois d’avril. Et la productivité est en baisse sensible, ce qui n’est pas un bon signe, surtout aux Etats-Unis, pour le dynamisme de l’embauche. Enfin, le déficit commercial ne cesse de se creuser : à ce rythme, il dépassera les 500 milliards de dollars sur l’exercice, après que celui de 2013 à été révisé à la hausse (plus de 476 milliards). Les exportations sont à la traîne et les importations restent dynamiques : il semblerait que la stagnation du pouvoir d’achat de la ménagère yankee ne ralentisse que modérément ses velléités dépensières – ce qui doit avoir un impact non négligeable sur l’encours des cartes de crédit (un indicateur à surveiller de près en phase de conjoncture mollassonne). Bref, les tendances observées contrastent avec les anticipations apaisantes des économistes et avec celles des marchés financiers – Wall Street a atteint ses plus hauts historiques.

Le signal des taux

Certes, on sait que l’embellie des Bourses est directement liée à la générosité des Banques centrales. Tout particulièrement aux Etats-Unis, qui ont osé une création monétaire phénoménale. Toutefois, depuis l’amorce du tapering (la réduction progressive d’achats d’actifs jusqu’à complète cessation), les marchés ont été avisés du retour prochain à une politique monétaire plus orthodoxe. Donc, la fin de la fête pour les spéculateurs boursiers, qui seront alors sevrés de liquidités surabondantes et quasi-gratuites. Finalement, les opérateurs ont réagi comme si le bol de punch ne serait jamais retiré. Au point que la FED se demande si son message, bienveillant sous Ben Bernanke et toujours accommodant sous Janet Yellen, n’a pas été mal interprété par les marchés. Les inquiétudes de l’Institut d’émission sont bien fondées, mais ce n’est probablement pas l’interprétation des analystes qu’il faut mettre en cause, mais plutôt leur intime conviction. A savoir que la FED ne pourra pas revenir à une politique orthodoxe, eu égard aux dommages collatéraux considérables que provoquerait l’arrêt des perfusions – sans parler du retrait des liquidités surnuméraires, qui demeurera un vœu pieux ad vitam. En créant de la monnaie par paquets de milliers de milliards, la Banque est seulement parvenue à éviter une longue et douloureuse récession. Ce n’est peut-être pas si mal, mais les moyens déployés sont astronomiques par rapport à l’effet obtenu. En revanche, il ne fait aucun doute que le retour à une politique raisonnablement orthodoxe aurait des effets en chaîne dévastateurs, sauf à être soutenu par une croissance vigoureuse et stable. Tel n’est toujours pas le cas.

Les marchés n’ont pas mal interprété les propos de la FED ; ils n’ont fait que comprendre sa priorité : éviter à tout prix la déprime économique. Et ils ne croient pas un seul instant aux prévisions de l’Institution, quant aux perspectives de croissance de moyen terme. La preuve est inscrite dans la cotation des taux d’intérêt : sur le marché monétaire, le taux implicite des Fed funds à échéance de fin 2016 ressort à 1,65%, alors que la FED prévoyait récemment 2,25% à ce terme. L’étiage « naturel » des Fed funds – leur moyenne historique – se situe autour de 4%. Aujourd’hui, sur les échéances les plus lointaines, le marché anticipe des taux à peine supérieurs à 2,5%... Il en résulte que les opérateurs sont convaincus que le niveau anormalement bas des taux d’intérêt perdurera longtemps, contrariant ainsi les « intentions » du Banquier central. D’évidence, entre le marché et la FED, l’un des deux – au moins – est dans l’erreur. Mais dans un cas comme dans l’autre, l’issue promet d’être cruelle : soit la Banque continue d’arroser sans discernement et le dollar finira par sombrer ; soit les spéculateurs sont trop confiants et la remontée des taux les laissera en caleçons courts.

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