Crise : confusion à (...)

Crise : confusion à tous les étages

Des stratégies politiques opiniâtres qui mènent assurément au désastre. Des exigences contradictoires de la part des marchés qui conduisent inéluctablement au krach. Des mouvements populaires radicalement opposés qui s’unissent dans la protestation. Un environnement de confusion généralisée complètement déroutant.

Si quelqu’un dans la salle a compris ce que « les marchés » attendent des politiques, qu’il veuille bien se lever et l’expliquer à ses petits camarades. Parce que le commun des mortels se retrouve dans le brouillard le plus épais. On nous a expliqué sur tous les tons que le politique avait un train de retard sur le financier ; bon, il faut bien l’admettre : l’atermoiement représente la caractéristique commune aux dirigeants du monde entier, depuis le début de la crise. Mais nul ne peut raisonnablement reprocher aux autorités d’avoir négligé les attentes, les recommandations, voire les ultimatums, des marchés. Au contraire, les uns et les autres s’agitent comme des fourmis devant un tamanoir, pour mériter leur brevet de solvabilité à court et long terme : le moral des créanciers est devenu leur principale, voire seule préoccupation. Quitte à condamner leurs citoyens à la soupe populaire perpétuelle. Le scénario de cette course à l’échalote a débuté avec le réveil, tardif, des agences de notation. Conscientes de s’être montrées laxistes face à la propension des Etats à l’endettement immodéré, elles ont soudainement mis le holà avec une rigueur impitoyable. Et exigé le recours au rabot budgétaire pour maintenir des notes honorables.

Ayant compris que les agences ne plaisantaient pas, tous les gouvernements ont obtempéré après avoir renâclé. Les plus dociles aux injonctions de pingrerie, qui étaient aussi les plus vulnérables sur le plan financier, se sont alors fait étriller par ces mêmes agences : les restrictions budgétaires engagées menaçaient leur croissance, et donc leur rétablissement. S’ensuivit en conséquence une nouvelle volée de dégradations. Les Etats ainsi convertis à l’orthodoxie budgétaire se trouvaient donc sanctionnés pour les effets, mécaniquement inévitables, du prurit de vertu imposé par leurs directeurs de conscience. Il résulte de ce processus un constat qui relève de la tragédie antique : dès qu’une agence abaisse la note d’un pays, ce dernier est inéluctablement condamné à la dégradation continuelle et donc à la faillite programmée. Le temps n’est pas si lointain où le verdict des notateurs ne servait à rien, ou presque : désormais, la première de leurs sentences équivaut à une mise à mort, plus ou moins rapide.

Brouet confusionnel

Les marchés ont parfaitement compris ce mécanisme infernal, qui leur permet de spéculer sans discontinuer sur la dette souveraine des Etats qui ont reçu une première volée de plomb. Tout en entretenant l’espoir, s’agissant de l’Europe, que la solidarité des Etats-membres fera se mobiliser les ambulances, les équipes médicales et l’armoire à pharmacie, avant que la bête blessée ne trépasse. Une spéculation au deuxième degré, en quelque sorte, qui échappe à la rationalité ordinaire. Sur le même registre, les Bourses ont largement interféré sur la politique intérieure des Etats prétendument souverains. En Grèce, par exemple, le dernier sursaut de dignité de Papandréou (ses velléités de référendum), a été accueilli avec une aigreur destructrice par le monde financier. Si bien que le Premier ministre a été acculé à la démission, mais après avoir fait adopter par son Parlement le dispositif préconisé par les pères-la-rigueur de l’UE, de la BCE et du FMI. Si bien que plus rien ne l’opposait au consensus international. Quant à la population grecque, angoissée par les perspectives d’une austérité interminable, elle avalera avec le successeur de Papandréou une purge plus amère encore que celle redoutée sous l’administration du précédent. Comprenne qui pourra. Même scénario avec l’Italie : Berlusconi mettait une mauvaise volonté évidente à appliquer le plan de rigueur conforme à la morale du moment. Il a finalement été poussé vers la sortie, mais après l’adoption par la Chambre des mesures restrictives exigées. C’est là aussi tout-à-fait incompréhensible : l’Italie y gagnera sans doute un Président du Conseil plus policé et moins sulfureux, mais les marchés ne se préoccupent pas plus de la moralité des politiques que de la leur. Quant aux Italiens, ils s’exposent à regretter bientôt la vulgarité déroutante de leur ex-dirigeant.

Au fond, il semble bien que les sphères politique et financière soient frappées du même confusionnisme. Il suffit d’observer les débuts de la campagne présidentielle en France : le représentant le plus en vue de l’opposition vient de convoquer son staff d’économistes, pour élaborer un programme… de lutte contre la crise. Il était temps qu’il s’en préoccupât. Au cas d’espèce, ce n’est plus de l’atermoiement ni du retard à l’allumage : c’est de l’autisme caractérisé. Mais l’Europe n’est pas seule concernée par le désarroi généralisé, la chienlit intellectuelle et la déroute en rase campagne de la politique. Les Américains, supposément soudés autour des valeurs inaliénables de l’American way of life sous la protection de la bannière étoilée, manifestent en masse leurs doutes métaphysiques. Avec une convergence surprenante entre le Tea Party, d’inspiration « libertarienne » (adepte du moins d’Etat possible), et les ramifications innombrables du mouvement OWS (« Occupy Wall-Street »), exigeant au contraire la charge répressive de l’Etat contre la toute-puissance destructrice de l’industrie financière. S’unissent ainsi deux conceptions radicalement opposées de la société. Et pour ne pas être à la traîne, les milieux politiques déclarent leur sympathie aux uns et aux autres. A ce rythme, on verra bientôt les banquiers de Wall-Street monter d’eux-mêmes sur le bûcher…

Crédit photo : Photos Libres

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