Crise : l'opium de l'optim

Crise : l’opium de l’optimisme

Par une nouvelle confusion entre les effets et les causes, l’embellie boursière actuelle laisse accroire que la crise serait en voie de résolution. Pourtant, aucun des problèmes majeurs n’est encore réglé. Une réalité dérangeante que le FMI vient de rappeler, sans altérer l’optimisme ambiant.

Quoi qu’on en dise, l’hirondelle fait le printemps. Ainsi en va-t-il de notre optimisme congénital, sans lequel l’espèce aurait probablement disparu depuis longtemps. S’il faut se réjouir du remarquable instinct de survie de l’homo sapiens, on doit déplorer sa propension régulière à abdiquer toute lucidité. En d’autres termes, sa tendance spontanée à prendre ses désirs pour des réalités. Tel est souvent le cas sur le terrain de l’économie et le syndrome n’épargne pas les professionnels de la discipline. En premier lieu, les marchés financiers : sur une période récente, ils ont à plusieurs reprises manifesté un enthousiasme disproportionné par rapport aux événements. Avant Noël dernier, annonce était faite d’un « accord » sur le dossier grec. Dans les faits, le happy end revendiqué, pour une affaire qui trainait depuis des années, se résume à peu de choses : de menus pourboires accordés par les créanciers et la poursuite de l’ascèse par les débiteurs. Rien qui vienne changer les données du problème : la Grèce demeure irrémédiablement insolvable et la cure qui lui est infligée aggrave plutôt sa maladie. Pour preuve, dès ce début d’année, le Trésor grec est de nouveau confronté à de vives tensions : les fonds qui ont été promis au pays lui sont adressés avec retard et avec parcimonie. Autant dire que la crise grecque refera l’actualité tout au long de l’année.

Peu après, les Européens en extase annonçaient la mise sur orbite de l’Union bancaire, un dispositif destiné à centraliser le suivi et le contrôle de tous les établissements de crédit de la Zone, à ce titre supposé prévenir le risque systémique et, en cas de difficulté, donner toute latitude à la BCE pour prendre les mesures appropriées. Il aura fallu peu de temps pour qu’émergent des obstacles au projet, considérés à ce jour comme insurmontables. De la même façon, le courant favorable à la disparition de la « banque universelle » - où sont amalgamées la gestion des dépôts-clients et les opérations spéculatives pour compte propre -, ce courant se transforme déjà en un mince filet promis à se tarir bientôt. Car pour les grandes banques concernées, il faudrait mobiliser des montagnes de fonds propres, au moment où les leurs sont déjà notoirement insuffisants (il manquerait 400 milliards d’euros aux banques européennes pour satisfaire aux prescriptions de Bâle III…). Mais l’allant boursier de ces dernières semaines vient anesthésier les craintes ; les bonnes intentions passées deviennent moins pressantes ; la croissance serait de retour. La preuve : les Américains se remettent à acheter des bagnoles. Grâce à des crédits subprime.

Suicide monétaire

Pour couronner cet enthousiasme dopé aux amphétamines, les Etats-Unis apportaient leurs étrennes peu avant la nuit de la Saint-Sylvestre : la « falaise fiscale » était vaincue. Enfin, presque. Ou plutôt, pas du tout : les factions opposées se sont accordées pour remettre à plus tard l’élaboration d’un consensus introuvable. En attendant, la portée du deal correspond à-peu-près au gabarit d’un tabouret face à la Tour Eiffel. Et le contexte politique actuel rend illusoire tout accord susceptible de contrarier l’enflure monstrueuse de la dette US, ce qui renforce les doutes, déjà vivaces, de la solvabilité de l’Amérique. Il en résulte que la seule solution pour l’Oncle Sam pourrait être le sacrifice de sa monnaie, ce que le Laboratoire européen d’anticipation politique (LEAP) pronostique depuis pas mal de temps et annonce comme très probable sur l’exercice en cours. Rien qui soit vraiment de nature à réjouir le monde de la finance, car un krach du dollar aurait des conséquences désastreuses pour la planète entière.

Ainsi donc, dans ce climat d’insouciance bonhomme, on doit relever les mises garde du FMI par la voix de sa Directrice générale, lors de la présentation à la presse des perspectives pour 2013. On a déjà fait état, dans ces colonnes, de l’exercice de corde raide auquel se livre le Fonds. Lequel continue de prôner une stricte orthodoxie budgétaire – et donc la paille de fer dans les finances publiques – tout en alertant les Etats, notamment européens, des risques (plus importants qu’escomptés) que l’austérité fait courir à la croissance. « Nous avons stoppé la chute, nous devons éviter la rechute ; ce n’est pas le moment de se relâcher », a notamment déclaré Christine Lagarde. Sans que l’on sache vraiment sur quelles actions les dirigeants doivent éviter le relâchement… En tout cas, le Fonds a depuis longtemps insisté sur la nécessité de sécuriser le système financier ; il a depuis longtemps rappelé que les banques n’étaient toujours pas tirées d’affaire ; il a depuis longtemps exhorté ces mêmes établissements à s’engager fermement dans la voie tracée par « Bâle III ». Les avancées réalisées à ce jour ne sont pas insignifiantes, mais elles demeurent trop modestes pour prévenir toute « rechute ». Il est donc pertinent, de la part de Mme Lagarde, de recommander aux Européens de mener à bien leur union bancaire ; pertinent d’encourager les dirigeants à « achever » la refonte du système financier (on n’en est qu’aux balbutiements) ; pertinent d’inciter les Américains à éviter « une erreur politique » sur le différend douloureux du plafond de la dette. Est-il toutefois pertinent d’appeler la BCE à « poursuivre, voire renforcer l’assouplissement monétaire afin de soutenir la demande » ? Cela reviendrait à suivre la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et le Japon, dans leur recours illimité à la planche à billets - la stratégie du désespoir.

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