Crise : le psychodrame

Crise : le psychodrame de Jackson

La réunion de financiers, que la FED a coutume d’organiser dans la vallée de Jackson Hole, a, cette année, pris une résonance particulière. Par ce que n’a pas dit Ben Bernanke, dont les marchés attendaient la lune. Et par ce qu’a déclaré Christine Lagarde sur le secteur bancaire européen. L’exocet est venu d’où on ne l’attendait pas…

Jackson, Wyoming : son Parc national, sa célèbre station de ski dotée des pistes les plus abruptes du monde, sa myriade d’hôtels et de restaurants. Une ville essentiellement touristique qui accueille de multiples manifestations artistiques et de nombreux congrès. Et depuis 1982, un pince-fesses très select sous la houlette de la Banque fédérale américaine, qui réunit une petite centaine de gros calibres de la sphère financière. Des banquiers centraux, bien sûr ; mais aussi des universitaires, des chercheurs et, selon l’air du temps, un ou deux ténors en sciences sociales, histoire de polluer un peu l’ambiance. Mais pas de raton laveur : la faune locale est suffisamment variée et pittoresque, sans compter les autochtones. Habituellement, la manifestation n’est suivie que de loin par les médias, d’autant que l’accès des journalistes (triés sur le volet) est payant, comme celui de tous les participants. Il est vrai que la réunion ne revêt aucun caractère officiel ni opérationnel : il ne s’agit pas de prendre des décisions mais d’échanger des idées, de prendre, au terme de la période estivale, des nouvelles de la grande famille de la finance, sous l’hospitalité du « capo » américain, en la personne du patron de la FED qui demeure, en dépit de la dépréciation de sa signature, le chef d’orchestre du système financier mondial.

Eu égard au contexte électrique du moment, l’allocution de la puissance invitante, qui ponctue traditionnellement le pique-nique de Jackson, était cette année très attendue. Pour des raisons évidentes : sans l’intervention de la FED, et des banques centrales en général, les désordres de la crise financière se seraient (déjà) soldés par la faillite du système bancaire. Le relais assumé par les Etats n’a, de fait, été rendu possible que par la complaisance active des mêmes banquiers centraux, qui ont pudiquement mis sous clef les règles prudentielles auxquelles ils sont soumis en temps ordinaire. Pas étonnant, donc, que les marchés soient suspendus aux lèvres de Ben Bernanke, le « grand spécialiste du réglage fin de l’inflation » qui a mérité sa réputation : il a fait exploser la masse monétaire sans que l’indice des prix en ait été trop affecté, au moins jusqu’à ce jour, si l’on exclut les actifs financiers (réels ou virtuels) et les matières premières. Et tout le monde croise les doigts pour que le grand argentier yankee sorte un nouveau lapin de son chapeau, pour conjurer le mauvais sort qui s’acharne à rôder dans tous les recoins du globe.

Les pieds dans le plat

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En matière de lapin, voilà ce que Wall Street attendait : que Bernanke annonce l’arrivée prochaine de la troisième édition de « quantitative easing », c’est-à-dire le déversement « par hélicoptère » d’une pluie de dollars fraîchement créés. Ben ne l’a pas dit, sans l’exclure pour autant. La FED disposerait selon lui de « nombreux moyens d’intervention » pour doper l’activité du pays. Comme il a déjà abusé de la planche à billets – dernier recours dans les situations désespérées – on se demande bien de quels « autres moyens » nouveaux et efficaces il pourrait faire usage… La seule nouveauté pourrait résider dans la forme de l’intervention : après avoir racheté en masse des bons du Trésor US et pris en pension les titres douteux des banques, il ne reste plus à la FED que d’acquérir les rossignols accumulés par les citoyens américains dans leur grenier, et les payer à leur prix de revient. Du reste, Bernanke a bien dû avouer les limites de son pouvoir et il a renvoyé la patate chaude dans les mains des chefs d’Etat : il leur faut dare-dare assainir leurs finances, voilà la clef du succès. Jean-Claude Trichet a enfoncé le clou avec le même marteau, en laissant toutefois entendre que la BCE renforcerait, si nécessaire, les moyens « non conventionnels » d’intervention (c’est-à-dire les mêmes acrobaties téméraires que celles de la FED).

Dans ce numéro collectif de Ponce Pilate, pourquoi l’intervention de Dame Lagarde, récemment intronisée au FMI, a-t-elle suscité autant d’émotion ? Elle constate que les risques de récession sont toujours présents, ce que personne ne conteste. Elle pointe du doigt la fragilité du système financier, ce qui revient à enfoncer une porte ouverte. Elle recommande aux Etats d’agir en réduisant leurs dettes et en… relançant en même temps l’activité, ce qui correspond aux habituelles billevesées désopilantes de la « Française hilare » – qualificatif à elle accordé par le Dr Konrad Hummler, associé-gérant de l’éminente banque suisse Wegelin & Co. Donc, pas de quoi fouetter un chat. Sauf que, en pointant du doigt l’état des banques européennes, déclarées par elle sous-capitalisées, Christine Lagarde a évidemment provoqué une levée de boucliers chez les intéressés, leurs représentants politiques et leurs institutions de contrôle : nous avons les banques « les plus solides » du monde, c’est bien connu... Elle a sans douté péché par partialité en ne désignant que les établissements européens, dont les instances de régulation sont précisément en désaccord avec le FMI quant aux règles de dépréciation des créances souveraines. Mais son exocet est armé d’arguments défendables. Il est notoire que bien des banques ont valorisé de façon arbitraire les titres en cause, au prétexte que les cours délivrés par le marché étaient « sans signification ». Les analystes modérés estiment que le secteur bancaire européen a besoin de renforcer ses fonds propres de… 200 milliards d’euros. Et ce sera beaucoup plus, si l’activité continue de décliner. Sur ce point particulier, la « Française hilare » n’a donc pas raconté de bobard.

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