Déficits : la solidarité

Déficits : la solidarité « verticale »

Comment retrouver l’équilibre de comptes continument déficitaires ? Le gouvernement s’attelle au volet budgétaire. Et un chef d’entreprise respecté avance une proposition révolutionnaire pour rétablir la santé de la Sécu. Il s’agit de la « solidarité verticale », un concept qui devrait susciter des oppositions verticalement radicales.

Notre espèce ayant été dotée du gène de l’optimisme indestructible, elle a inventé le mythe du progrès. Lequel se nourrirait, en particulier, de nos erreurs et de nos échecs, dans un parcours initiatique conduisant à l’optimum – une sorte d’Eden rationnel. Une approche que Schumpeter a théorisée sur le plan économique, avec sa « destruction créatrice », le tsunami dévastateur qui défriche le terrain pour l’éclosion de prometteuses jeunes pousses. Une telle doxa n’est pas dépourvue de fondements, reconnaissons-le. Mais admettons aussi que l’homo sapiens marque une propension regrettable à développer ses stratégies foireuses jusqu’à l’évidence de l’échec, plutôt que d’infléchir sa trajectoire avant de percuter le mur. Cet atavisme est particulièrement net en matière de gestion publique. Voilà plus d’un quart de siècle qu’est apparue l’évidence des dangers d’un endettement public non contenu, et la folie furieuse de traites sur l’avenir émises par les régimes sociaux. Pour autant, seules ont été adoptées des mesures cosmétiques, supposées compatibles avec l’arithmétique électorale. La patate chaude a ainsi été refilée aux générations suivantes des décideurs publics, dans le long terme keynésien, c’est-à-dire quand les ministres contemporains seront tous morts. Si bien que lorsque surgit une mauvaise passe conjoncturelle, les marges de manœuvre budgétaires – celles qui permettraient d’adoucir les rigueurs de la récession – se trouvent singulièrement réduites, voire complètement laminées. Si bien qu’en cas de gros pépin, comme celui que nous vivons depuis quelques années, l’intervention publique se solde par des dérapages monumentaux qui compromettent durablement la solvabilité des Etats. Pour mériter l’accès aux sources de financement dans des conditions non usuraires, il n’y a alors d’autre issue que d’adopter des solutions budgétaires extrêmes : passer les dépenses à la paille de fer et augmenter vigoureusement les prélèvements. Le tout ayant un impact restrictif sur l’activité, ce qui a pour effet de minorer les recettes fiscales et sociales, et ainsi d’affaiblir la signature du pays. C’est très exactement le type de processus à l’œuvre en Grèce, qui promet de contaminer d’autre Etats de l’Union. Et pas seulement les plus vulnérables, puisque les (supposés) mieux lotis cautionnent ces derniers et affaiblissent ainsi leur propre solvabilité.

L’avenir de la Sécu

Dans ce contexte, notre pays est conduit à suivre la voie commune : celle du resserrement budgétaire. On reviendra sur la question fiscale, qui mérite des développements spécifiques. En attendant, le domaine social commence à susciter des suggestions ambitieuses, comme s’il s’agissait de prendre la température de l’eau du bain. Dans une chronique récente publiée par le quotidien Les Echos, l’homme d’affaires Charles Beigbeder (fondateur de Poweo), que l’on ne savait pas familier de ces questions, se porte au chevet de la Sécurité sociale. Pour développer une nouvelle approche de la solidarité, tant sur la branche maladie que sur la branche vieillesse. Son plaidoyer en forme d’exocet se résume dans cette longue citation : « Le système instauré en 1945 avait pour base la solidarité horizontale : le non-malade paye pour le malade, le travailleur pour l’inactif, les sans-enfant pour les familles, etc. Dans cette logique, les différences de revenus ne sont pas prises en compte, les plus aisés étant aussi remboursés que les autres. Cette logique ne permet plus au système de s’équilibrer, c’est pourquoi il convient de lui substituer une logique verticale, c’est-à-dire fondée sur la prise en compte des niveaux de revenus. » En clair, il s’agirait d’instaurer une franchise de remboursement des dépenses de maladie pour les assurés sociaux disposant de revenus convenables, afin de pouvoir maintenir un remboursement significatif aux moins bien lotis. De la même façon, le retraité ayant constitué une pension confortable (ou disposant d’un patrimoine) verrait sa rente ramenée à des proportions plus verticalement solidaires. Il en résulte que les salariés ayant consacré le plus d’argent à leur assurance obligatoire (santé et retraite) seraient proportionnellement moins indemnisés que leurs contemporains. Une double inégalité, dans la cotisation comme dans la prestation, qui déroge totalement au concept d’assurance.

Voilà longtemps que l’on a, dans ces colonnes, prédit l’émergence d’un scénario de cette nature, qui a déjà une existence partielle avec la réversion des pensions de retraite, soumise à conditions de revenus. La généralisation d’une telle conception reviendrait à dissocier totalement le lien existant entre le prix du « service social » et le service lui-même, c’est-à-dire à fiscaliser les cotisations de la Sécu. Certes, l’aimable suggestion de Beigdeber n’est pas un projet de loi. Mais une telle approche, venant d’un chef d’entreprise doté d’une certaine audience, peut être considérée comme une position officieusement officielle des milieux d’affaires. Car elle aurait pour effet de relâcher la pression sur les entreprises, régulièrement sollicitées lorsqu’il s’agit d’éponger (en vain) les déficits récurrents de la Sécu : le coût salarial est devenu un enjeu capital de la compétitivité. Accessoirement, les moindres prestations du régime général ouvriraient un nouveau marché aux professionnels de l’assurance, potentiellement très lucratif. Et accélèreraient ainsi le désengagement public en matière de santé et de retraite. Ainsi, en introduisant le concept de « verticalité », c’est le principe même de solidarité qui tend à s’estomper.

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